[Précision utile : je parlerai de la version longue, infiniment plus claire et aboutie que la version cinéma]
Kingdom of Heaven laisse une impression curieuse. On a beau se situer plusieurs siècles en arrière, j'ai souvent eu l'impression d'assister à une parabole de la situation actuelle au Moyen-Orient. Chose que Ridley Scott entretient pendant toute la durée du film.
A contrario du montage sorti en salles (2h25), celui-ci s'allonge de 40 minutes ce qui est bien suffisant pour lui donner toute autre allure. Les personnages gagnent en profondeur, le contexte devient beaucoup plus clair. Les Historiens sont encore divisés sur la vision et la véracité de l'œuvre aux faits, si tant est qu'elle soit possible dans un sens absolu. Laissons-les en débattre entre eux, puisque le film ne prétend jamais à la fidélité. Comme Gladiator 5 ans auparavant, Scott se saisit du passé pour en extraire l'atmosphère et façonner une intrigue qui parle au présent.
La grosse différence avec le péplum colossal ayant mis en vedette Russell Crowe, c'est que Kingdom of Heaven est plus contemplatif. Bien sûr, vous retrouverez des scènes de batailles d'une envergure qu'on retrouve rarement au cinéma. Mais le cadre se fait plus politique, le propos bien plus désenchanté. Attendu que la guerre est une défaite de l'humanité, ne comptez pas sur le film pour vous faire soutenir un camp plutôt qu'un autre. Impossible puisque le conflit est la résultante d'un manque de tolérance et du pêché de l'orgueil et de l'avidité. Une situation qui n'est pas sans évoquer les conflits déclenchés dans la péninsule arabique. Le script de William Monahan insiste avant tout sur la tragédie d'une terre-promise saccagée par ceux qui la vénèrent. Le style pictural de Scott emballe le tout avec une beauté qui en fait l'héritier légitime des Duellistes et Gladiator.
Le long-métrage, pour réussi qu'il soit, n'accède pas au statut de classique en raison de deux problèmes. Le propos est humaniste, indéniablement. Mais il est regrettable que Kingdom of Heaven ne donne pas plus de visibilité aux personnages musulmans, bien que le film atteigne les 3 heures. Attention, je ne trouve pas qu'ils soient montrés négativement (c'est même l'inverse d'ailleurs). Mais il est dommage qu'une grosse production ne saisisse pas l'occasion d'offrir une réelle égalité de traitement. Deuxième faille : Orlando Bloom. Pas de reproche sur la prestation de l'acteur, il est tout à fait convenable. Il manque cependant du charisme nécessaire pour ce type de rôle, qui n'est crédible qu'à l'aune de son magnétisme. Son absence ici se ressent cruellement.
Il est compensé par l'élégance d'un Jeremy Irons qui tranche comme une lame, et une Eva Green dont la prestation évoque les plus belles âmes damnées.
Rétrospectivement, la déconvenue financière que représenta Kingdom of Heaven n'a rien de surprenant. Je doute que le sortir dans sa version longue y aurait changé grand-chose. Long, complexe, simultanément critique et naïf, il désarçonne. D'autant plus dans la carrière de son réalisateur, qui ne s'est pas souvent montré idéaliste. Mais KoF demeure une vraie curiosité surtout au regard d'un époque contemporaine qui semble n'avoir rien fait d'autre que reproduire les mêmes erreurs.