"On oublie parfois que les gens qui se sont battu contre les occupants, durant la Seconde Guerre mondiale, étaient les enfants ou les petits-enfants de ceux qui, 25 ans plus tôt, avaient défendu leur pays, patrie des Droits de l'Homme, mais aussi leurs libertés, explique Jean-Paul Salomé. C'était un idéal très fort et la mémoire était encore tellement vive, qu'il n'était pas question de se laisser faire ! Je veux dire aussi que parmi ces gens qui ont résisté, il y a eu beaucoup de jeunes qui n'ont pas hésité à mettre leur vie en péril alors qu'ils avaient la vie devant eux et ça, c'est d'une grande intensité dramatique ! Toutes ces notions peuvent paraître surréalistes, aujourd'hui, aux gens de ma génération ou à celle de mes enfants. Pour la majorité d'entre nous, l'acte patriotique par excellence, c'est voter ou payer ses impôts ! Il aura fallu que j'effectue ce travail d'écriture pour mieux comprendre ce que me racontait mon grand-père. Pour finir, je veux faire un film de femmes, car leur mystère m'inspire définitivement dans mon travail de réalisateur. J'ai envie de rendre hommage à ces femmes qui ont fait preuve d'un courage exceptionnel et qui, à ma connaissance, ont reçu moins d'honneurs après guerre que les hommes."
L'idée des Femmes de l'ombre est venue à l'esprit de Jean-Paul Salomé lorsque celui-ci a lu, un matin, à Londres, dans le Times, une pleine page consacrée à Lise Villameur, une résistante française ayant opéré pour les réseaux du SOE, services secrets créés par Winston Churchill durant la Seconde Guerre mondiale. Celle-ci venait de s'éteindre à l'âge de 98 ans. Intrigué par l'histoire de cette femme, le réalisateur a entamé des recherches, aidé par l'historien Olivier Wieviorka, et a ainsi découvert que Lise Villameur appartenait, comme d'autres femmes résistantes, à la French Section, une organisation constituée d'une cinquantaine d'agents français, formés en Angleterre avant d'opérer en France pour le compte des alliés.
Le film se déroule au printemps 1944, à la veille du débarquement. La décision du débarquement a été prise lors de la Conférence de Téhéran (28 novembre - 1er décembre 1943) et sa mise en place technique a commencé en janvier 1944, ce qui a laissé très peu de temps aux Alliés pour se préparer. Du côté allemand, l'idée que les Alliés vont débarquer en Europe du Nord Ouest ne fait aucun doute. Hitler, lui-même, pressent l'imminence du débarquement dès novembre 1943 et demande qu'on intensifie les travaux de fortification sur les côtes du Pas-de-Calais et de la Normandie, présageant que la France serait le théâtre des futures opérations.
Les Femmes de l'ombre marque les retrouvailles de Jean-Paul Salomé avec Sophie Marceau, une actrice qu'il a dirigée en 2000 dans Belphégor, le fantôme du Louvre. Celle-ci incarne Louise Desfontaine, directement inspirée de la résistante Lise Villameur. "Dans le film, elle est une femme blessée qui se réfugie dans une certaine froideur. Elle est cinglante, intransigeante, explique le réalisateur. Elle a un esprit de chef et la volonté de mener à bien les choses. Sophie Marceau en a fait un personnage comme ça. Sophie aussi peut paraître assez dure parfois et puis rieuse à d'autres moments. Elle se protège. Il y a ça dans son personnage."
Avec le personnage de Heindrich, Jean-Paul Salomé souhaitait combattre le cliché cinématographique du nazi au regard bleu glacé. "Il n'y a que sur les affiches de propagande que les nazis étaient blonds aux yeux bleus, confie-t-il. Ni Hitler, ni aucun de ses proches collaborateurs n'étaient de type aryen. Alors pour lutter contre ce cliché, le physique ténébreux de Moritz Bleibtreu était parfait. Par ailleurs, il a composé un personnage de nazi très ambigu : terrifiant par moments, mais aussi terriblement humain. Il offre une vision très moderne de l'Allemand nazi."
Jean-Paul Salomé a fait le choix de tourner dans des décors naturels et non pas en studio. Il s'en explique : "Nous ne voulions pas tourner en Roumanie ou en Hongrie. Il y avait un devoir de vérité et un plaisir du spectateur d'essayer de recréer le Paris de l'époque. Quand Spielberg recrée le Paris des années 70, à Budapest, pour Munich, ça passe, mais nous Français, on n'y croit pas. Je pense qu'on pardonne à Spielberg, mais qu'à moi, on ne le passerait pas... Avec Eric Névé, le producteur, on a choisi de retrouver des lieux originaux. Il a fallu les aménager, mais les prisons ou les caves ayant servi à la Résistance sont des lieux chargés d'une émotion difficile à recréer en studio. Néanmoins, cela n'a pas toujours été possible, certaines personnes ont refusé qu'on vienne tourner chez elles, parce que le souvenir était encore trop frais pour elles ou qu'elles ne voulaient pas que l'image de leur établissement soit de nouveau associée à cette époque-là."
Le travail sur les décors a débuté par une recherche historique et iconographique menée avec le soutien de l'historien Olivier Wieviorka afin de définir les limites du cadre imposé par la reconstitution de l'époque. "Une des difficultés des histoires récentes est précisément cette proximité, raconte la chef décoratrice Françoise Dupertuis. La mémoire des lieux et des faits est encore présente dans tous les esprits, particulièrement pour ce qui touche à la dernière guerre. Il est difficile de montrer et de représenter à l'image certaines séquences liées à la violence, à la souffrance, la réalité étant supérieure à toute forme de représentation. C'est pourquoi je me suis attachée pour ces séquences-là à travailler l'idée que la banalité, le quotidien, les détails anodins, si on les multiplie, les ordonne, les dispose en séries, prennent une dimension qui peut les rendre inquiétants, angoissants, stressants. Pour les extérieurs parisiens, on a procédé à l'inverse et on a créé du vide, afin de donner davantage de poids aux informations visuelles que l'on montrait. Il y a une réelle différence de conception et de perception des décors, dès l'instant où ils sont destinés à l'occupant ou à l'occupé. De même que l'appartement spolié, occupé par Eddy, est censé représenter une touche nostalgique de "comment la vérité était avant" laissant entrevoir la trace de gens évoluant dans la littérature, la culture artistique et esthétique de leur temps."
Pour cause de dépression, Laura Smet, qui jouait au départ le rôle de Suzy, dut finalement être remplacée durant le tournage par Marie Gillain.
Eva Green et Mélanie Laurent ont toutes deux été pressenties pour jouer dans Les Femmes de l'ombre.