Film égyptien, produit et financé par la Suède et le Danemark, « Le Caire Confidentiel » prend ses références, au-delà de son titre, au roman noir de James Ellroy « L.A. Confidential ». Le réalisateur, Tarik Saleh, semble avoir bien cerné et, bien assimilé les code du film noir, du polar « pur sucre » à l’américaine : un antihéros solitaire, qui trouve dans une enquête une sorte de rédemption de toutes ses turpitudes passées, qui cède aux jolies femmes vénéneuses, qui fouille dans les bas fonds de sa ville et qui finit par titiller les puissants de ladite ville, jusqu’à y risquer sa peau. On est donc là dans du film noir assumé, qui coche toutes les cases du genre mais avec un truc en plus : l’Histoire. Ici, l’enquête de Noredine se déroule quelques semaines voire quelques jours avant les évènements de la Place Tahir et la chute du régime. Lui, pas plus que ses collègues ne semblent voir venir le coup de tonnerre, trop occupé qu’ils sont à toucher des pots de vins et à faire le sale boulot du régime. Le film de Saleh est bien maîtrisé, la musique est discrète mais quand elle est présente, elle fait mouche. Saleh aime les plans rapprochés, la caméra à l’épaule, il aime suivre son héros marcher vers la vérité. C’est rythmé, c’est filmé et monté sans temps morts, sans scènes superflues, tout au plus quelques petites longueurs ça et la, sans conséquences sur le rythme du film. Dans le rôle titre Fares Fares (oui, c’est son nom) est très sobre, ombrageux comme il faut, un poil colérique quand il faut. Il rend son personnage assez vite attachant, en dépit de ce que l’on découvre de lui et de la façon dont il arrondit ses fins de mois. A ses côtés, une belle brochette de seconds rôles bien incarnés, par des comédiens hyper crédibles. Mention spéciale à Mari Malek, qui incarne une immigrée soudanaise, témoin oculaire et terrifiée du crime du Hilton,
et qui hésite entre se cacher ou monnayer son témoignage.
L’intérêt de « le Caire Confidentiel » n’est pas l’intrigue policière à proprement parler. Ladite intrigue étant assez conventionnelle, à base de
jolies filles, de photographies compromettantes et de chantage.
Ce genre d’intrigue peut fonctionner dans tous les cinémas du monde et sous toutes les latitudes, rien de très original, ni de très compliqué à comprendre. C’est le contexte qui donne tout son sens au film. La société égyptienne de la fin de l’ère Moubarak, d’abord, avec sa corruption généralisée, quasi institutionnalisée, avec ses violences policières et ses gardes à vues qui durent 15 jours (mais tu as de grandes chance de ne pas y survivre jusqu’au bout). Mais aussi un pays qui s’ouvre doucement, clandestinement à l’occident, où l’on commence à s’inscrire sur Facebook et à converser avec le reste du monde, un pays musulman ou l’on transige bien facilement avec les préceptes sur le sexe, l’alcool et l’argent, un pays cadenassé mais dont les chaines commencent à céder. C’est aussi un pays qui a ses propres immigrés, qu’elle traite peu ou prou comme nous traitons les nôtres, d’ailleurs. Les leurs sont soudanais et fuient la guerre civile toute proche, ils servent de main d’œuvre à bas cout à la société égyptienne. Toutes ces choses composent un écrin dans lequel l’intrigue policière vient se caler, et l’ensemble donne un polar à la fois très conventionnel et très « exotique ». On peut croire à tous les évènements et à tous les personnages du film, « le Caire Confidentiel » est très crédible, tant par les évènements que par l’attitude des uns et des autres. Ici, pas de héros au cœur pur, pas de victime innocente, uniquement des hommes et des femmes qui composent avec une réalité difficile, celle d’un pays encore très pauvre, dont le développement ne profite qu’aux dirigeants et qui est sur le point d’exploser comme une cocotte-minute. La Révolution en elle-même, qui est mise en scène dans les dix dernières minutes du film, n’occupe peut-être pas la place qu’elle mériterait dans le film. J’ai cru un moment qu’elle allait venir « régler » l’affaire policière, de manière expéditive, mais en fait pas vraiment.
Les portables qui sonnent, pile au bon moment, et qui semblent faire basculer le destin de tout le monde en une seconde, c’était un peu un leurre.
Dans un pays aussi corrompu que l’Egypte de Moubarak, il y a toujours le moyen de glisser une enveloppe à quelqu’un qui peut vous tirer d’affaire, même dans les pires moments d’incertitude politique.
Il n’y pas de morale tout au long du film de Tarik Saleh, il n’y en a pas non plus à la fin, c’est peut-être frustrant sur le moment, mais c’est sans doute la meilleure fin possible pour un film noir qui entend coller à la réalité comme un sparadrap. La toute fin, assez cruelle d’ailleurs, nous laisse sur une impression mélangée, quant au sort de Noredine : la rédemption a un prix, et l’addition risque d’être un peu salée. La relation de Noredine avec son père (qui à l’air d’être plus intègre et droit que son fils) aurait pu être plus et mieux exploitée, elle aurait peut-être donné un sens plus pointu à son personnage. Le contexte politique aurait pu lui aussi être plus et mieux exploité, on ne sent pas vraiment l’ambiance de fin de règne qui devait imprégner l’Egypte de janvier 2011 (La Tunisie avait déjà basculé, la Lybie toute proche commençait à vaciller). Mais ces petits défauts mis à part « Le Caire Confidentiel » est un film noir réussi, qui nous immerge dans une Egypte très éloignée de l’idée que l’on s’en fait en Europe, et qui nous emmène avec lui dans les bas fonds du Caire pour 2 heures de polar, un polar qui sent à la fois le souffre et les épices !