Angleterre : Paddington. Le 23ème jour du mois de juin 1912, naquit Alan Mathison Turing, futur mathématicien de génie qui intègrera le centre secret de Betchley Park afin de percer les mystères de la machine Enigma, système nazi de radiocommunication cryptée, indéchiffrable et alors considéré comme inviolable.
Cet homme, c’est Benedict Cumberbatch, superbe dans ce rôle de composition, et qui tient là probablement là le rôle de sa vie, en sachant faire ressortir cette assurance réservée d’une part, et d’autre part son mal-être intérieur dû en partie à un traumatisme antérieur, tout en sachant pertinemment qu’il est bel et bien différent de la personne lambda. Franchement, il n’aurait pas volé son Oscar, s’il l’avait remporté. Il interprète à merveille cette course au jeu de l’imitation, aussi le film porte bien son nom. D’ailleurs, si vous vous intéressez un peu à l’homme, vous verrez que des efforts de ressemblance physique ont été consentis, les maquilleurs n’ayant pour référence que quelques malheureux clichés de cet éminent mathématicien, cryptologue de surcroit.
Car "Imitation game", en plus de révéler au grand jour un fait de guerre resté dans le plus grand secret des secrets-défense de l’armée britannique durant de nombreuses années, c’est avant tout un biopic. Evidemment, il ne s’agit pas d’un simple fait de guerre comme il y en a tant d’autres
puisque selon les historiens ce travail de longue haleine en coulisse finit par raccourcir le conflit de deux années
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Même si la vie d’Alan Turing reste quelque peu incomplète dans ce film, il y a tout de même l’essentiel. Et malgré un entourage de tous les instants et les pressions exercées sur le personnage, les scénaristes ont réussi à centrer tout le film sur ce génie hors catégorie. D’ailleurs, je ne pense pas me tromper en disant que Benedict Cumberbatch porte le film sur les épaules, malgré la présence Keira Knightley (que j’ai trouvé assez peu convaincante en Joan tant son jeu parait stéréotypé et léger), Matthew Goode très bon en Hugh Alexander trop sûr de lui, et le très convaincant Charles Dance dans la peau du commandant Denniston à la patience limitée, pour ne citer qu’eux.
D’entrée nous sommes pris dans ce destin incroyable, basculant entre le présent et les flashbacks que nous propose le réalisateur Morten Tyldum, toujours utilisés à bon escient pour apporter les précisions dont a besoin le spectateur, sans jamais le perdre dans la chronologie des faits.
Le coup d’œil (intimiste) du cinéaste nous fait adhérer complètement à cet homme, à ce destin hors normes, tout en incorporant savamment des images d’archives, ce qui permet de mesurer l’importance de ce travail d’ombre. Le résultat final est à l’image de l’époque : rien d’extravagant, simple, classique, mais efficace. L’immersion dans l’époque est bien rendue, surtout lorsque Turing enfourche son vélo. L’éclairage est de bonne qualité et la photographie très intéressante.
Mais avant tout, c’est la vie du mathématicien qui est mise en avant, laquelle se superpose avec la Seconde Guerre Mondiale sans que celle-ci soit trop présente ni trop négligée.
Alors que le conflit se termine, j’ai senti une légère baisse d’intensité quand l’ensemble du casting (technique et acteurs) a essayé de mettre davantage d’émotions dans l’histoire somme toute singulière (dans le sens figuré du terme) du personnage principal. Cela sent un chouia la surenchère dans la psychologie de Turing, alors que ça fleurait bon la sincérité de par le ton juste. On se perd un peu aussi dans les explications visant à expliquer le fonctionnement du cerveau selon Turing, mais je pense sincèrement que c’est un passage obligé en regard de ce que ce monsieur a accompli et de l'héritage qu'il a laissé.
Le résultat final est superbe, avec 8 nominations aux Oscars 2015. Une seule et unique statuette sera remportée, pour le meilleur scénario adapté.
Alors que le compositeur Alexandre Desplat avait décliné le fait de composer la bande originale, il fut annoncé malgré lui par la production, le contraignant à écrire la partition en moins de trois semaines puisque le film en était au stade de la finalisation. Ecoutez, et vous verrez qu’il mérite lui aussi sa nomination aux Oscars.
"Imitation game" est une œuvre qui vous fera découvrir un côté de la guerre méconnu, constatant que les conflits, pourtant largement couverts par le 7ème art, regorgent encore de trésors exploitables et surprenants, sans que ce soit répétitif ou éculé. Un film à découvrir absolument, avec des dialogues de très grande qualité, où certaines répliques sont d’une importance capitale, trouvant tout leur sens plus tard dans le film et dans l’évolution du personnage.