Pour Rien sur Robert, son deuxième long métrage, Pascal Bonitzer avait pris comme point de départ une authentique polémique médiatique. Fabrice Luchini y jouait le rôle d'un intellectuel raillé par ses pairs pour avoir émis un jugement à propos d'un film bosniaque qu'il n'avait pas vu -il s'agissait d'une allusion à des propos d'Alain Finkielkraut concernant Underground d'Emir Kusturica. Cette fois, le réalisateur est parti de l'affaire qui entoura la sortie de Rois et reine d'Arnaud Desplechin. La comédienne Marianne Denicourt fit un procès au réalisateur, auquel elle reprochait de s'être inspiré d'éléments de sa propre vie pour nourrir le personnage de Nora (lire le secret de tournage intitulé "règlement de comptes" et l'article sur le procès). Mais l'histoire ne s'arrête pas là. Bonitzer a en effet travaillé dans un premier temps avec Christine Angot pour l'écriture du scénario de Je pense à vous. Et peu après la fin de leur collaboration, la romancière publiait le roman Les désaxés, dans lequel elle racontait le quotidien d'un couple en crise, François et Sylvie, deux personnages inspirés par... Bonitzer et son ex-compagne Sophie Fillières. "Qu'est-ce que ça veut dire être un créateur, un écrivain, un auteur, quand on utilise, peu ou prou, la vie de gens qu'on a connus de plus ou moins près...?", s'interroge le réalisateur. "C'est une question que j'ai eu à me poser, pas seulement parce qu'elle m'a été à moi-même posée, à mon corps défendant ; je me la pose depuis que j'écris et fais des films. C'est peut-être l'un des sens du titre." Refusant de pousser trop loin la comparaison avec la réalité, il ajoute : "Le récit à clés est toujours limité, et toujours par la dimension sous-jacente du règlement de comptes. Et l'autofiction n'y échappe pas, narcissisme en plus. Or, le règlement de comptes me répugne et ne m'intéresse pas."
Pascal Bonitzer précise ses intentions : "Dans mon précédent film, Petites coupures, j'étais parti de l'idée d'un homme qui se perdait dans une forêt, illustrant les premiers vers de La Divine comédie. Là, j'ai eu envie de revenir à Paris, de faire un film parisien, dans tous les sens du mot, mais toujours avec cette idée d'égarement, de perte, et toujours la forêt. J'ai ainsi pensé très tôt au Bois de Vincennes ; dans les toutes premières versions du scénario, le zoo jouait aussi un rôle... Pour être franc, j'envisageais à l'origine un film fantastique, en me souvenant de La Féline de Jacques Tourneur. Mais je ne suis arrivé à rien (...) Ce qu'il en reste dans Je pense à vous, j'espère, c'est une certaine atmosphère de cauchemar, de mauvais rêve, en effet. Donc, oui, cet égaré, c'est Hermann, un éditeur, pris dans des complications "parisiennes". Le "parisianisme", c'est plutôt mal vu, mal famé (notamment dans la profession du cinéma, où tout ce qui y a trait est considéré comme rédhibitoire), et généralement associé au "nombrilisme". Moi, je voulais partir de là et déboucher en pleine étrangeté."
Anne est interprétée par Marina De Van, qui est également coscénariste du film. Connue pour sa collaboration avec François Ozon, elle a coécrit les scénarios de Sous le sable, 8 femmes, mais aussi du moyen-métrage Regarde la mer (dans lequel elle jouait aussi l'un des rôles principaux, celui d'une étrange routarde), et a joué dans Sitcom. Mais Marina de Van est également réalisatrice : après une poignée de courts singuliers, elle a signé en 2002 un premier long métrage dérangeant et très remarqué Dans ma peau : la cinéaste y incarnait une jeune femme adepte de l'auto-mutilation. Au départ, le film avait d'ailleurs pour titre Coupures... pas si loin de Petites coupures d'un certain Pascal Bonitzer, sorti quelques semaines plus tard.
Pascal Bonitzer a commencé seul l'écriture du scénario, avant d'être rejoint par Marina De Van : "J'ai eu longtemps cette seule situation : Anne assise sur la tombe, et puis arrivant dans la maison d'Hermann alors qu'il est seul, et ce qui va se passer jusqu'à la fin de la nuit. Je n'arrivais pas à dépasser cette nuit. J'avais des scènes en tête, mais je n'arrivais pas à me décider à les raconter simplement. J'ai eu besoin de Marina de Van pour arriver à la journée suivante, et poursuivre le récit. J'ai une grande admiration pour elle, comme comédienne chez François Ozon, mais aussi comme scénariste et réalisatrice. Marina m'a remis dans les rails et m'a aidé à finir l'histoire." A propos de son actrice-complice, il ajoute : "J'ai pensé très tôt (même avant que je la contacte pour co-écrire le scénario) à Marina pour le rôle d'Anne. Peut-être des traits d'elle se sont-ils greffés sur le personnage. Paradoxalement, elle a plus travaillé, à l'écriture, sur le personnage de Diane. Elle lui avait un moment inventé un drame de son passé, que venait révéler le livre de Worms : une admirable histoire de chien, de labrador gold, que je n'ai malheureusement pas réussi à intégrer dans le récit, et qui méritait un film entier. D'ailleurs le scénario s'est appelé un temps Labrador. C'est le titre du livre de Worms..."
Edouard Baer (dont le cinéaste apprécie "le contraste entre son côté frénétique, extraverti, et ce qu'[il] croi[t] deviner d'un fond mélancolique") et Charles Berling ("un monstre d'énergie", doublé d'un "caméléon" selon Pascal Bonitzer) se connaissent bien pour avoir formé en 2001 sur la scène de la Gaîté-Montparnasse le tandem de Cravate club, une pièce de théâtre de Fabrice Roger-Lacan. Ce spectacle était ensuite devenu un an plus tard un film, réalisé par Frédéric Jardin.
L'une des originalités de Je pense à vous est de mêler deux genres souvent cloisonnés : le cinéma d'auteur à la française et le fantastique. Pascal Bonitzer s'en explique : "En tant que spectateur je n'aime pas tellement le mélange des genres, mais en tant qu'auteur, j'ai une forte tendance à le pratiquer. J'ai commencé par le ton de la comédie, mais je me sens un peu à l'étroit dans ce registre, j'aimerais pouvoir le quitter. Le cinéma qui a le plus compté pour moi, ce sont les films noirs américains, et les films fantastiques de Jacques Tourneur. Je revois fréquemment Rendez-vous avec la peur de Jacques Tourneur, j'ai beaucoup vu Vaudou, j'ai même eu envie de raconter une histoire d'envoûtement, et il en reste peut-être des traces dans le film." Le réalisateur confie qu'une autre des sources de Je pense à vous est Histoire de Marie et Julien, un des nombreux longs métrages qu'il a co-écrits pour Jacques Rivette. Cet entre-deux se retrouve sur le plan spatial : "Il y a un mélange entre l'espace diurne des comédies parisiennes, et des espaces mentaux plus inquiétants : le bois, la clinique, l'appartement de la mère d'Anne... On est constamment dans un entre-deux, comédie, et puis noirceur, onirisme..."
Le cinéaste revient sur le rôle-clé que joue dans le film un objet du quotidien devenu omniprésent : le téléphone portable. "Eh bien, c'est vrai que j'ai trouvé l'histoire quand j'ai trouvé le coup du portable, c'est-à-dire la photo prise par Worms et la circulation de cette photo d'un portable à l'autre. Et aussi, par entraînement, le message SMS d'Antoine, l'échange des portables entre Anne et Diane... C'est une façon d'actualiser le vaudeville classique, le truc des quiproquos et des messages qui ne parviennent pas au bon destinataire... Il se trouve que le portable joue un rôle envahissant dans notre vie quotidienne, j'avais donc envie de faire jouer à cet horrible et incontournable instrument un rôle à la fois horrible et incontournable..."
Pour jouer le rôle de la fille d'Hermann, croisée dans le Jardin du Luxembourg, le cinéaste a fait appel à sa propre fille, Agathe Bonitzer, qu'on avait déjà aperçue au cinéma, notamment dans Les Sentiments de Noémie Lvovsky. Quant au jeune homme de SOS Médecins, il a les traits d'Adrien de Van, le frère de Marina De Van, un comédien qui a joué dans Sitcom.
Signalons la brève apparition dans Je pense à vous d'un vieux complice d' Edouard Baer : Gilles Gaston-Dreyfus, camarade de jeu du comédien lors de ses différentes aventures théâtrales (Le Grand mezze), télévisuelles (Le Centre de visionnage) et cinématographiques (La Bostella).
Pascal Bonitzer a déjà dirigé Dinara Droukarova dans Petites coupures.
Je pense à vous est aussi le titre d'un film réalisé par Jean-Pierre et Luc Dardenne en 1992, juste avant le long métrage qui les fit connaître, La Promesse.