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    Otages à Entebbe : "cette opération militaire n’est pas un si grand succès que ça" pour José Padilha

    Le réalisateur de "Tropa de Elite" et du reboot de "Robocop" s’est éloigné de sa série "Narcos" pour tourner "Otages à Entebbe" (Ouganda), un film qui retrace l’opération Thunderbolt en 1976, très controversée.

    Studio Canal

    AlloCiné : Pourquoi ce film sur la spéctaculaire opération Thundebolt menée par le Mossad et sur la libération des otages de l'avion Air France détourné à l’aéroport d’Entebbe, en 1976 ?

    José Padilha : Le projet qui était dans les cartons de StudioCanal et de Working Title depuis longtemps. Le premier réalisateur s’est désisté. On m’a envoyé le scénario et, à sa lecture, je me suis dit que le point de vue sur cet événement était très différent des autres films sur le sujet. Jusqu’à présent, le cinéma n’a que chanté les louanges de l’opération militaire israélienne montée après cette prise d’otage. Là, le scénario se concentre davantage sur la relation entre les terroristes et leurs otages, ainsi que sur les jeux de pouvoir entre Shimon Peres et Yitzhak Rabin. C’est bien parce pour cette originalité que j’ai décidé de m’engager sur ce projet.

    Les Tropas de Elite, qui interviennent dans les favelas brésiliennes, font tout comme le Mossad partie des forces spéciales les mieux entrainées de la planète. En un sens, Robocop est une force spéciale à lui seul. Pourquoi cette fascination chez vous pour ces groupes d’intervention ?

    Ce n’est pas une obsession, mais je crois qu’en regardant les forces de l’ordre d’une société, on peut en dire long sur son état de santé. C’est une bonne façon de faire de l’anthropologie : toute société regroupée en un État a une police. Dès qu’une société s’organise, elle instaure un mécanisme répression, une police qui vous en dit long sur les problèmes actuels. Imaginez que vous ne sachiez rien de l’Amérique. Vous arrivez aux États-Unis et vous ne posez que des questions sur les méthodes de la police. Vous allez vite découvrir qu’on l’accuse de cibler davantage les Afro-Américains que les Blancs. Vous venez d’arriver et vous pouvez pourtant comprendre sur le champ que le racisme est un gros problème chez eux. Observer la police, c’est une bonne manière de comprendre les différentes cultures sociales.

    Le fait que Shimon Peres, Yitzhak Rabin, Ehud Barak et Yonatan Netanyahou, le frère de Benyamin, soient les personnages principaux de ce film semble sous-entendre que la prise d’otages d’Entebbe a façonné la politique israélienne pour les cinquante ans à venir…

    Non, le film ne sous-entend pas tant de choses, mais il dit tout de même que ça a aidé. Des dizaines d'événements, dans l’histoire de ce pays, ont compté bien autant. Mais oui, c’est un événement décisif pour Israël. Evidemment, Benyamin Netanyahou est devenu un homme politique à la suite du décès de son frère ainé dans cette opération. Il est devenu l’opposition à Yitzhak Rabin. A l’époque où Rabin avait engagé des discussions pacifiques avec Yasser Arafat pour trouver un accord de paix à Oslo, un extrémiste l’a assassiné. Plus tard, Ehud Barak est aussi devenu Premier Ministre. Il a eu une chance de négocier un traité de paix et ne l’a pas saisie.

    On comprend en assistant à ce désaccord interne que la situation d’aujourd’hui était déjà là, il y a plus de quarante ans.

    Vous tenez, avec ce film, à présenter l’opération Thunderbolt d'un point de vue plus rationnel, pour qu’on cesse de le glorifier.

    Je tiens simplement à regarder l’événement sous un aspect différent. C’est un moment complexe, dans l’histoire. Il y avait un débat houleux à l’intérieur même du gouvernement israélien pour savoir quelle attitude adopter face à cet événement. Directement, Shimon Peres a annoncé qu’il ne fallait pas négocier, peu importe le prix. Yitzhak Rabin ne voulait aucun mort et tenait à s’assurer de l’existence d’une solution militaire valable, à défaut de quoi il était prêt à entamer des négociations. On comprend en assistant à ce désaccord interne que la situation d’aujourd’hui était déjà là, il y a plus de quarante ans.

    Vous avez un point de vue personnel sur ces négociations qui auraient pu mener à une issue pacifique de la situation ?

    Comment ça s’est réglé, vraiment ? En plus, c’est toujours difficile d’argumenter avec des "si". Je ne sais pas ce qui se serait passé autrement, donc je n’ai pas de point de vue. Ce que je peux vous dire – et ça n’a rien à voir avec mon film – pour vous donner une perspective historique au-delà de notre sujet : dans les trois semaines qui ont suivi cet événement, 235 Kenyans ont été assassinés par Idi Amin Dada, le président ougandais, en représailles de l’aide apportée aux Israéliens pour atterrir sur l’aéroport d’Entebbe. C’est plus que le nombre d’otages qui ont été sauvés. D’un point de vue humain, cette opération militaire n’est pas un si grand succès que ça, du coup. Peut-être d’un point de vue israélien, mais pas kényan.

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    La scène de l’opération Thunderbolt est montée en parallèle avec la superbe chorégraphie d’Ohad Naharin dans "Echad Mi Yodea". Ne craignez-vous pas qu’on vous accuse de glamouriser cette intervention militaire par ce procédé ?

    Non, parce que ça a un sens qui, dans ce contexte, est l’opposé de la glamourisation. Dans cette chorégraphie, les danseurs sont habillés en Juifs orthodoxes et ils commencent à enlever leurs vêtements un par un. Le seul danseur qui ne suit pas le mouvement tombe continuellement de sa chaise. La métaphore, clairement, suggère que les opinions les plus radicales sont celles qui provoquent la mort. Cela dit, c’est effectivement une œuvre d’art israélienne magnifique et d’une grande valeur ! On se concentre souvent sur l’armée, le Mossad, etc. Mais Israël produit également de très belles choses.

    Pourquoi avoir demandé à Rosamund Pike, une actrice britannique, de jouer une terroriste allemande ?

    Parce que c’est une actrice formidable qui sait parler plusieurs langues et faire l’accent allemand à la perfection. Quand on regarde le film, c’est difficile de croire qu’elle n’est pas vraiment allemande. Jouer la comédie, c’est faire croire. Quand vous cherchez une comédienne britannique qui arrive à sauter ce fossé qui sépare la culture allemande de la culture anglo-saxone, demandez à Rosamund Pike : elle sait le faire ! (Rires)

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    Quel était la plus grande difficulté dans la mise en scène et la reconstitution du raid ?

    Je voulais être le plus fidèle possible aux faits, même si je ne pouvais pas les reconstituer dans leur intégralité. Ce raid a été bien plus complexe que ce qu’on voit à l’écran : d’autres groupes de militaires se sont occupés de sécuriser les autres terminaux, etc. On commence l'action à l’atterrissage du premier avion et on la coupe à la mort du dernier terroriste, en gros. Pour cette partie du raid, j’avais à ma disposition deux soldats présents au moment des faits. L’un des deux était le premier à l’intérieur de la pièce où les otages étaient retenus et il a tué le premier terroriste palestinien. L’autre, c’est lui qui a tué les deux terroristes allemands. Donc, quand j’installais ma caméra pour mettre en scène le comédien qui jouait Yoni Netanyahou, ils pouvaient me dire : "Il est mort précisément à cet endroit, nous l’avons vu." Ils pouvaient aussi me dire si les terroristes étaient tombés ici ou là et je déplaçais ma caméra selon ce qu’ils me décrivaient. Ça ne veut pas dire que tout ça est parfaitement exact. Je n’y étais pas et il n’y a aucun enregistrement de cet événement. Mais, à ma décharge, je ne pouvais pas faire mieux.

    Par exemple, vous avez choisi de ne pas montrer la mort des quatre otages qui ont perdu la vie dans cette opération.

    On en parle dans un carton à la fin du film, simplement. On s’est dit que ça allait être problématique pour leurs familles et leurs proches, auxquels on en avait parlé. Il faut faire attention à la représentation des victimes dans ce genre de projet.

    Votre film suggère aussi que l’opération Thunderbolt a pu être menée à bien parce qu’un des terroristes allemands n’a pas eu l’audace de mettre la menace à exécution et de tuer les otages. C’est un élément qui change toute la légende de ce raid !

    L’idée ne vient pas de moi, évidemment. Ce n’est pas nouveau, d’ailleurs : dans le livre d'un chercheur britannique qui a retracé les événements minute par minute, tout est clairement raconté comme cela. Working Title en avait déjà acheté les droits et écrit le scénario de cette façon quand on m’a proposé de reprendre le projet en main. La productrice Kate Solomon est venue à Paris pour s’entretenir avec Jacques Lemoine, joué par Denis Ménochet dans le film, qui était l’ingénieur de bord du vol détourné. Il lui a été demandé si Böse (Daniel Brühl) aurait eu le temps de tuer les otages avant l’intervention. Il a répondu qu’il avait une grenade a la main et une mitrailleuse, mais qu’il n’a fait usage ni de l’un, ni de l’autre et qu’au lieu de viser les otages, il s’est tourné vers la porte par laquelle le Mossad arrivait. On peut le croire sur parole parce que Jacques Lemoine n’a pas d’intérêt politique à défendre dans cette affaire. Il s’agit simplement d’un technicien méticuleux. Il a d’ailleurs confirmé la version des faits que montre mon film. Et je n’ai aucun intérêt à défendre non plus.

    Ce que vous dites sur le respect des victimes et de leur image vous empêcherait-il de tourner un film sur un événement similaire plus récent ?

    Non. J’ai tourné un film qui s’appelle Bus 174 sur une situation très traumatisante dans laquelle deux personnes ont trouvé la mort après le détournement d’un bus à Rio le 12 juin 2000. Mais il faut le faire de façon respectueuse. Les familles des victimes m’ont donné leur accord et j’en ai fait un documentaire. Working Title a aussi fait le film Vol 93 de Paul Greengrass sur lequel Kate Solomon a aussi travaillé. Je ne dis pas qu’il ne faut absolument pas montrer des victimes trop récentes au cinéma. Je dis simplement qu’il veiller à être respectueux.

    Je suis avant tout un étranger, un Brésilien. Au Brésil, on ne s’intéresse que très peu au conflit israélo-palestinien.

    Benyamin Netanyahou fait actuellement l’objet d’une enquête pour corruption. Vous avez peur que ça nuise à la carrière de votre film ?

    Je ne pense pas que ça nuira à mon film. Je ne m’implique pas dans la politique israélienne. J’ai beaucoup d’admiration pour Yitzhak Rabin, mais je suis avant tout un étranger, un Brésilien. Au Brésil, on ne s’intéresse que très peu au conflit israélo-palestinien. Je regarde tout ça de très loin et je raconte les histoires qui m’intéressent. Je me rends bien compte que c’est un terrain miné et j’espère que mon film apportera des éléments de réflexion à tous ceux qui se sentent concernés, mais ce n’est pas mon cas. Si Netanyahou est accusé à tort, j’espère que son nom sera blanchi. S’il est jugé coupable, j’espère qu’il sera justement puni. Ce sont ses problèmes et pas les miens.

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    J’imagine que vous étiez trop jeune et trop loin pour vous souvenir de l’événement…

    En fait, je m’en souviens. Ça a duré toute une semaine et c’était aux infos. Je devais avoir neuf ans. Deux ans plus tard, on en avait déjà fait un film [Raid sur Entebbe d’Irvin Kershner, 1977, ndlr]. Donc ça m’a marqué. Je me souviens surtout de l’événement raconté du côté des militaires. Personne ne m’en avait parlé du point de vue des otages, comme le fait mon film.

    Il y a près de quarante ans, un pays s’est permis d’envoyer en secret des militaires à des milliers de kilomètres, pour intervenir sur un territoire qui ne se savait même pas attaqué… Ça transgressait forcément beaucoup de lois internationales !

    C’est un succès relatif, selon le point de vue qu’on adopte. Ce qui est certain, c’est que c’était très risqué et difficile à accomplir. Mais il ne faut pas se contenter de juger l’opération seule. Il faut prendre en considération tout ce qui en a découlé.

    Dix ans après votre Ours d’Or au Festival de Berlin pour Tropa de Elite, quel est votre souvenir de cette première récompense prestigieuse ?

    C’est intéressant parce que mes films ne font jamais l’unanimité auprès de la critique. Ils parlent tous de sujets sensibles. A Berlin, le film a aussi beaucoup polarisé : on avait de très bonnes et de très mauvaises critiques. Beaucoup de gens trouvaient le film brutal et fasciste et autant pensaient le contraire et y voyaient de l'ronie. Costa-Gavras était président du jury cette année-là et il a pris le film dans le bon sens. Ce festival, ce fut aussi intense que des montagnes russes mais ça s’est bien terminé.

    La bande annonce d'Otages à Entebbe de Jose Padilha

     

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