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    Hardcore Henry : non, les jeux vidéo n'ont pas inventé la vue subjective !
    Olivier Pallaruelo
    Olivier Pallaruelo
    -Journaliste cinéma / Responsable éditorial Jeux vidéo
    Biberonné par la VHS et les films de genres, il délaisse volontiers la fiction pour se plonger dans le réel avec les documentaires et les sujets d'actualité. Amoureux transi du support physique, il passe aussi beaucoup de temps devant les jeux vidéo depuis sa plus tendre enfance.

    Et non ! Le principe de la vue subjective, au coeur de nombreux jeu vidéo, n'est pourtant pas une invention de l'univers vidéoludique. Mais bien du cinéma, et très ancienne qui plus est. Retour sur la naissance d'un génial concept.

    Lorsque nous demandions au réalisateur d'Hardcore Henry, Ilya Naishuller, s'il avait aussi eu envie avec son film de rendre hommage aux jeux vidéo en utilisant le principe de la caméra en vue subjective, il nous répondait : "c’est évident que pour l’aspect caméra en vue subjective, on associe ça instinctivement aux jeux vidéo. Pour autant, mon souhait n’était pas de faire un jeu vidéo ou de courir à tout prix derrière les jeux vidéo, même si mon film en a d’une certaine manière son ADN. La nuance est importante : c’est avant tout un film".

    Histoire d'aller dans le sens du cinéaste, les jeux adoptant le principe de la caméra en vue subjective, où le joueur a la sensation de partager la perception visuelle de son personnage, sont particulièrement nombreux. Le genre du FPS, acronyme de First Person Shooter, est devenu un genre roi depuis des années, sans compter qu'il existe aussi de très nombreux titres adoptant ce principe de vue subjective sans nécessairement être des Shooters, comme certains jeux de Survival. Bref, une présence tellement massive en fait que dans l'imaginaire collectif, on associe volontiers -et par facilité aussi sans doute- la paternité de la vue subjective aux jeux vidéo.

    En réalité, ils ne font qu'emprunter et adapter la grammaire du cinéma, parfois très brillamment. Le principe de la caméra subjective est même une invention très ancienne dans le 7e Art, puisqu'on en trouve des traces dans l'adaptation (formidable) de Docteur Jekyll & Mister Hyde réalisée en 1931 par Rouben Mamoulian.

    Le film commence en caméra subjective, tandis que la physionomie du Docteur Jekyll n'est dévoilée, au début du film, que lorsque celui-ci se regarde dans un miroir, et le spectateur avec. Ci-dessous, la séquence en question :

    De manière plus affirmée, et sans doute aussi plus spectaculaire, Fritz Lang utilisera le procédé de la caméra / vue subjective dans son chef-d'oeuvre Chasse à l'homme, en 1941. Le film s'ouvre sur un certain Thorndyke, amateur de chasse anglais, qui tient nul autre qu'Hitler dans le viseur de son fusil à lunette. Capturé avant d'avoir pu faire feu, il parvient à s'échapper, avant d'être traqué par les Nazis jusqu'en Angleterre.

    Les amateurs de fusils de sniper dans les jeux FPS devraient remercier le grand Fritz Lang pour avoir fait passer à la postérité ces plans de lunette de fusil. La séquence est visible dans la vidéo ci-dessous, à partir de 02min30.

    Réaliser des séquences et autres plans en vue subjective, c'est bien. Mais pourquoi ne pas carrément faire tout un film basé sur ce concept ? Ce sera le cas dès 1947 avec La Dame du lac, réalisé par un certain Robert Montgomery, qui incarne en outre le rôle principal et adapte une oeuvre de Raymond Chandler. Soit un Thriller mettant en scène le fameux détective privé Philip Marlowe, lancé sur une enquête visant la disparition de la femme de son chef, avant qu'il ne se retrouve avec un encombrant cadavre sur les bras...

    "Une innovation technique révolutionnaire ! Une nouvelle méthode osée et surprenante pour raconter une histoire, dans laquelle VOUS êtes partie intégrante" proclame fièrement la bande-annonce du film. Le spectateur devient ainsi lui-même le détective privé progressant dans son enquête, en voyant à travers les yeux de Philip Marlowe.

    Au final, si Hardcore Henry ne se prive pas d'emprunter des codes à l'univers des jeux vidéo, il se contente surtout de redonner vie -certes de manière ultra spectaculaire- à un procédé narratif vieux de près de 70 ans; voire plus de 80 si on considère les premiers usages de la caméra subjective dans le film de Rouben Mamoulian.

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