Neil Hunt est un des hommes de l'ombre de Netflix. Directeur technique de la plateforme de streaming américaine, il est en charge du fameux algorithme, pièce maîtresse du succès du site, permettant notamment de gérer les recommandations.
Ce lundi 15 septembre, il accompagnait à Paris Ted Sarandos (le responsable du catalogue) et Reed Hastings (le co-fondateur) pour le lancement officiel du Netflix français. Trois interviews pour trois thématiques fortes... A découvrir sur AlloCine !
=> Lire notre interview de Reed Hastings, co-fondateur et P-DG de Netflix
=> Notre interview de Ted Sarandos, alias "Monsieur Catalogue" de Netflix
AlloCine : Reed Hastings et Ted Sarandos ont évoqué cette philosophie de travail chez Netflix fondée sur la "liberté" et la "responsabilité". Concrètement comment cela se traduit-il ?
Neil Hunt : Nous essayons de créer une culture d'entreprise, de construire un endroit de travail qui soit le plus plaisant et le plus stimulant. Les principes de "liberté" et de "responsabilité" en sont la base. Cela signifie aussi que nous devons recruter des gens qui ont cette capacité à se motiver eux-mêmes. Nous nous devons de leur laisser la liberté de faire leurs propres choix et de suivre la voie qu'ils choisissent. Et de leur laisser la responsabilité de faire ce qu'il y a de mieux pour Netflix et notre business. Nous nous challengeons les uns les autres, c'est aussi ce qui fait de Netflix un endroit excitant et propice au travail et pour cela que nous sommes aussi productifs. Nous essayons de ne pas diriger les gens en leur disant "Fais ceci" ou "cela" mais en leur offrant un espace pour s'exprimer, avec toutes les informations nécessaires et un objectif. Ils y arriveront par eux-mêmes. Je ne peux pas avoir toutes les bonnes réponses pour tout le monde. Je ne vais pas dire à tout un chacun comment il doit faire son travail. C'est un élément clé de Netflix.
On a entendu bon nombre de chiffres sur Netflix au fil des années. Parfois fantaisistes. Parfois non. Un chiffre m'a interpellé et montre le poids de Netflix : votre site peut représenter jusqu'à 30% de la bande-passante américaine lors des pics de consultation...
C'est un peu plus que cela. En réalité c'est de l'ordre de 32 ou 33%. Mais au-delà de ces chiffres, si impressionnants soient-ils, nous voulons d'abord et avant tout proposer une expérience agréable et efficace à nos abonnés. Et il y a quelque chose de trompeur avec cette estimation de la bande-passante. On compare souvent Internet à une autoroute, on conclut donc trop rapidement que 32% des voitures sur cet autoroute sont "du" Netflix. Automatiquement on a cette image de congestion, de bouchon. Mais Internet n'est pas "réellement" une autoroute. C'est un espace ouvert et vaste. Les 32% ne représentent pas les 32% de la capacité de cette autoroute. Netflix ne représente en réalité "que" 3%, ou même moins, de cette immense capacité, et encore uniquement dans les heures de consultation les plus importantes.
Netflix peut représenter jusqu'à 33% de la bande-passante aux Etats-Unis durant les heures de grande écoute.
Quel est l'acteur le plus populaire dans le moteur de recherche de Netflix ?
Je ne sais pas ! (Rire) Généralement les abonnés recherchent avant tout des titres de films et de séries avant les comédiens. Et je ne pourrais même pas vous dire quel est le titre de film le plus recherché ! (Rire) Je dirais qu'Orange is the New Black doit faire partie du Top 3 des recherches les plus populaires. Cette série a un public de base plus large que celui d'House of Cards, qui est selon moi un des meilleurs thrillers politiques. Et sans doute Orange n'est pas la recherche la plus populaire aussi parce qu'il y a des bannières partout sur le site renvoyant vers elle, donc pas besoin de faire de la rechercher ! (Rire)
Peut-on rechercher un film ou une série par sa nationalité ?
D'une certaine façon oui, notamment au fil des recommandations. Mais de manière générale, ce n'est pas de cette façon que les abonnés de Netflix recherchent et trouvent ce qu'ils veulent.
Le fameux "algorithme" est au coeur de la machine Netflix. Ce qu'il représente et le traitement du "big data" peuvent aussi logiquement faire peur.
L'algorithme n'est qu'un des éléments du succès de Netflix. Mon objectif technique est d'arriver à proposer à l'abonné l'expérience la plus immersive possible. Ted Sarandos (ndlr : en charge du catalogue) et son équipe ont construit un catalogue de films, de séries et de documentaires. Notre mission technique est de rendre justice à ce catalogue, de le présenter de façon lisible et efficace. Si vous proposez aux gens des milliers de choix par ordre alphabétique par exemple, ils vont s'ennuyer très rapidement et abandonner leurs recherches... sans rien trouver au final. Peut-être ne faut-il présenter de prime abord que 50 titres, un chiffre qui représente à peu près une liste complète et variée de choix à partir de laquelle on peut faire une sélection efficace. Si je ne peux pas "réduire" le catalogue à 50 titres qui, je le sais, peuvent vous intéresser, techniquement j'ai perdu la partie et Netflix ne remplit pas son rôle. Là réside aussi l'importance du moteur de recommandations. C'est cette optilmisation du catalogue à 50 titres qui doivent vous convenir. Pour établir cette liste, je dois aussi déterminer ce que vous aimez et ce que vous n'aimez pas. Il ne s'agit pas pour moi d'enterrer le reste du catalogue, il est et sera toujours là si vous souhaitez le consulter. Mais je dois faire en sorte que si vous vous asseyez dans votre canapé pour trouver quelque chose à regarder rapidement, vous pouvez le faire. L'idée est vraiment d'avoir le maximum de contenu et de vous aider à faire votre sélection le plus efficacement et rapidement possible.
Si je ne peux pas réduire le catalogue à 50 titres qui vous intéressent, techniquement j'ai perdu la partie et Netflix ne remplit pas son rôle.
Cette banque de données compile énormément d'informations : ce que je regarde et ce que je ne regarde pas, quand je le regarde ou non...
Et à quel moment vous vous arrêtez de regarder un programme aussi.
Cette banque de données donc sert le moteur de recommandations mais est aussi un outil d'adaptation du catalogue.
Nous utilisons ces données effectivement pour faire des sélections dans le catalogue. Pour choisir du contenu que nous estimons efficace. Mais nous sommes aussi liés à une autre temporalité : parfois des licences signées par Netflix sont des accords portant sur plusieurs années. Heureusement le contenu présent sur Netflix est consultable pour longtemps.
Combien d'abonnes compte Neflix à travers le monde ?
Plsu de 50 millions à l'heure actuelle. Netflix est présent aux Etats-Unis et au Canada, en Amérique Centrale et du Sud et désormais en Europe.
Quel est le plus gros succès historique de Netflix ?
Je ne suis pas sûr que... C'est une question légitime mais je ne sais pas si je peux vraiment y répondre. Ce que je peux en revanche vous dire c'est que du contenu peu connu à l'origine réussit à y trouver son public. Toutes les plateformes peuvent reprendre Breaking Bad ou Dexter et avoir du succès. En ce qui me concerne, ce qui m'intéresse le plus est de trouver des séries moins connues et d'en faire des succès sur Netflix. Je suis d'origine britannique et je vis maintenant aux Etats-Unis depuis un bout de temps. Notre moteur de recommandations m'a permis de découvrir bon nombre de séries européennes par exemple comme Luther, la série originale The Bridge ou la française Engrenages, que je ne connaissais pas forcément ou qui bénéficiaient d'une distribution plus confidentielle. Sans ce moteur de recommandations qui s'affine et s'adapte, je ne serais pas forcément tombé spontanément sur elles. Et c'est aussi parce que cet outil fonctionne que je suis très impatient de découvrir maintenant Les Hommes de l'ombre.
Canal+ / BBC / Nimbus Film ApS
La prochaine étape pour Netflix, surtout vous concernant, tourne autour de la qualité de la vidéo.
Internet va désormais permettre de diffuser de l'Ultra Haute Définition. A l'heure actuelle, le Blu-ray est le seul véhicule capable de porter cette définition de l'image. Netflix propose actuellement de la haute définition, cela concerne à peu près la moitié de notre catalogue. Mais nous devons pousser vraiment très fort maintenant pour passer la prochaine étape. La définition 4K, même si elle ne concerne qu'une toute petite partie de la production, est la prochaine étape. Nous développons les infrastructures pour le permettre. Dans les années à venir, de plus en plus de contenus seront sous ce format et nous serons capables de le proposer aux abonnés. Nous travaillons également sur le HDR, le High Dynamic Range, une définition de la luminosité cruciale à mes yeux. Actuellement on ne peut pas vraiment reproduire l'éclat du soleil sur l'eau par exemple. Le développement autour du HDR permet d'obtenir cette brillance, une luminosité naturelle proche de celle de la réalité. Pas besoin de mettre des lunettes de soleil pour regarder la télévision mais la sensation de réalité est cruciale. Si les fabricants de téléviseur le développent, Netflix doit être prête à le diffuser. Nous voulons être les premiers à proposer un streaming de qualité HDR. HDR, 4K et le High Frame Rate (HFR), voilà les standards que nous voulons atteindre pour améliorer la qualité de l'image, c'est une étape cruciale pour Netflix.
High Dynamic Range, 4K et High Frame Rate, voilà les standards de qualité de l'image que nous voulons atteindre pour Netflix.
La qualité de l'image, c'est une chose. Mais le succès d'un site serviciel, qu'il s'agisse de streaming ou autre, tient aussi à l'ergonomie et à la flexibilité du service. C'est aussi sous votre responsabilité chez Netflix...
L'objectif est de faire en sorte que Netflix reste le plus simple d'utilisation. Mais c'est très compliqué de rester simple ! Nous avons une sorte de dicton qui dit à peu près ceci : "La simplicité est plus importante que l'exhaustivité." Nous devons nous obliger à toujours rendre le produit le plus simple et minimaliste possible, à la manière de ce que faisait Steve Jobs chez Apple. Cela passe souvent par des heures et des heures de test du produit. Par ailleurs il y a 3 façons de décider ce qu'on doit construire et comment. On peut écouter le boss, suivre donc l'opinion de la personne la mieux payée du bureau. S'il vous dit de construire quelque chose "de cette manière", vous le faites "de cette manière". Mais elle a souvent tort... (Rire) On peut aussi écouter quelques utilisateurs test via des sessions d'essai. On observe et on étudie les résultats. Ils expriment ce qu'ils veulent et on oriente en fonction. Mais ils ont souvent tort également ! (Rire) Les vraies réponses, vous les obtenez généralement en confrontant votre produit au public, à 500 000 personnes par exemple. Et généralement c'est un produit simple d'utilisation qui remporte l'adhésion. Netflix a un catalogue très profond par exemple mais son usage, notamment grâce au moteur de recommandations, est très simple. Et c'est fait sciemment.
Propos recueillis par Thomas Destouches à Paris le 15 septembre 2014
La bande-annonce d'"Orange is the New Black", un des gros titres du catalogue du Netflix français :
