C'est décidément une vraie série noire qui s'abat sur le petit monde du cinéma...Après les décès de Leslie Nielsen et Irvin Kershner, on a appris le décès la nuit dernière de l'immense Mario Monicelli, le maître de la comédie à l'italienne, qu'il a rendu populaire avec ses compères réalisateurs Dino Risi et Luigi Comencini. Réalisateur prolifique, on lui doit des chefs-d'oeuvres du genre comme La Grande guerre (Lion d'or à Venise en 1959), Le Pigeon ou encore l'inoubliable Mes chers amis. Mario Monicelli s'est suicidé la nuit dernière en se jetant d'une fenêtre de l'hôpital San Giovanni de Rome, où il était soigné. Il avait 95 ans.
Le cinéma, passion de jeunesse
Mario Monicelli naît en 1915 à Viareggio. Fils du journaliste et critique de théâtre Tommasso Monicelli, il étudie l'histoire et la philosophie puis fait ses débuts de critique en 1932. Il retrouve sur les bancs de l'école Giacomo Forzano, le fils du dramaturge Giovacchio Forzano qui avait été chargé par mussolini de fonder les studios de cinéma à Tirrénia. Il entre dans le cinéma très tôt à l'âge de 19 ans, alors qu'il réalise son 1er court métrage avec son ami Alberto Mondadori en 1934 intitulé Il Cuore Rivelatore, puis un moyen métrage I ragazzi della via paal tourné en 16 mm et primé à Venise, inspiré de The boys of Paul Street de Ferenc Molnar. En 1937 il réalise Pioggia d'estate (pluie d'été) sous le pseudonyme de Michele Badiek. Alors que sa vie familiale est marquée par le drame du suicide de son père en 1946 à l'âge de 63 ans, il poursuit néanmoins sa voie de carrière et continue de faire ses preuves jusqu'en 1949 en tant qu'assistant-réalisateur, aux côtés de metteur en scène comme Gustav Machaty, Pietro Germi, Giacomo Gentilomo, Mario Camerini, ou encore Mario Bonnard. Ce fut pour l'apprenti cinéaste une période intense, où il écrivit pas moins d'une quarantaine de scénarii.
L'ascension et l'âge d'or de la comédie italienne
Les années 1949 à 1953 sont marqués par sa collaboration prolifique (huit films à succès en 4 ans) avec Stefano Vanzina, plus connu sous le nom de Steno. Son premier succès en tant que réalisateur a lieu en 1949 avec Toto cherche un appartement, dans lequel il dirige un des grands noms des acteurs de l'immédiate après-guerre : le comédien Toto.
A partir de 1953, Monicelli se lance seul dans la réalisation, mettant brillamment en scène les petits travers de la société de l'époque, en pleine évolution. Il devient un maître de la comédie satirique avec Le Pigeon, dans lequel il dirige le grand Renato Salvatori et surtout Vittorio Gassman, qui deviendra son acteur fétiche en tournant pas moins de huit films avec lui. Le film, qui remporte un immense succès populaire, ouvre aussi la voie à la vague des brillantes comédies italiennes des années soixante; comme pour signer un renouveau après les difficiles années de néo-réalisme de l'immédiate après-guerre.
Avec La Grande guerre, dans lequel il dirige un époustouflant trio d'acteurs (Vittorio Gassman, Alberto Sordi et Silvana Mangano), sa réputation dépasse les frontières. Le film lui vaut un Lion d'or à Venise en 1959 et une nomination aux Oscars. Sachant manier avec un style inimitable l'ironie et l'humour qui ont d'ailleurs fait le succès de ses films jusqu'à la fin des années 1970, il signe en 1963 Les Camarades, avec ses complices scénaristes Agenore Incrocci et Furio Scarpelli. Le film, brillamment porté par Marcello Mastroianni, est cité à l'Oscar du meilleur scénario. Réalisateur prolifique (65 films à son actif), il signe d'autres grands succès tels que L'Armée Brancaleone, Un Borghese piccolo, piccolo, Le Marquis s'amuse, ou encore l'inoubliable Mes chers amis. Dans ce film, où l'on découvrait l'acteur français Philippe Noiret en journaliste florentin partant faire les 400 coups avec ses copains quinquagénaires, dont Ugo Tognazzi, est resté comme un sommet du genre et l'un de ses meilleurs films. En 1991, à l'âge de 76 ans, on lui décerne le lion d'or pour l'ensemble de sa carrière. Toujours en verve et jamais avare de bons mots, il déclare alors que "Le cinéma ne mourra jamais, maintenant il est né et ne peut pas mourir . La salle de cinéma mourra peut être, mais de cela je m'en fous".
Un anti-Berlusconi acharné
Proche de la gauche, Mario Monicelli était très critique de la société actuelle. Il avait collaboré à un documentaire sur le sommet du G8 à Gênes en 2001, lorsque des centaines de militants alter-mondialistes avaient été blessés dans des affrontements avec la police. En juin dernier, il avait encore provoqué une polémique en appelant des étudiants à "se rebeller" contre des coupes dans le budget culture prévues par le gouvernement de Silvio Berlusconi. "Vous devez utiliser votre force pour subvertir, pour protester, faites-le vous qui êtes jeunes, moi je n'en ai plus la force", avait lancé Monicelli, à une assemblée d'élèves de l'Institut d'Etat pour la cinématographie et la télévision. "L'Italie est connue à l'étranger seulement pour sa culture et c'est justement cela qu'on cherche aujourd'hui à combattre" avait-il estimé, dénonçant à l'inverse une "culture de l'enrichissiment".
Dans une interview donnée au quotidien La Stampa en juin 2008, Monicelli dressait même un portrait lapidaire de son pays : "la génération née à la fin du fascisme a reconstruit le pays, s'est retroussé les manches, était solidaire. Les générations suivantes ont transformé l'Italie en un tas de ruines; tout a été détruit et corrompu. C'est justement ce que raconte Gomorra : un pays cynique et corrompu" déclarait-il, amer. En 2007, alors que sa santé déclinait nettement, il confiait à un journaliste de Vanity Fair : "la mort ne me fait pas peur, elle me dérange. Cela me dérange par exemple que quelqu'un puisse être là demain et que moi je n'y sois plus. Ce qui m'ennuie c'est de ne plus être vivant, pas d'être mort". Monicelli, toujours caustique, se plaisait à dire que "la mort est source sublime du comique". A l'heure où l'Italie pleure unanimement un de ses plus grands cinéastes, son suicide la nuit dernière, à l'âge de 95 ans, résonne comme un ultime pied de nez de celui qui fut l'un des maîtres incontestés du cinéma italien.
La rédaction d'AlloCiné