J'ai envie de chialer. Encore une étoile filante du rock…Partie trop tôt, comme toutes les autres. Sa dépouille pas encore froide repose déjà dans… les bacs à blu-ray, aux côtés des coffrets de Walking Dead. Comme une morte-vivante, justement. Peut-être aura-t-elle une deuxième vie en vidéo, la série rock se déroulant dans le New York des 70's du duo Scorsese/Jagger, tuée dans l'oeuf par HBO pour cause de rapport coût/audience pas assez rentable…Donc oui, c'est la mort dans l'âme que j'ai regardé le final pourtant euphorique de cette première et hélas dernière saison de "Vinyl". On sentait que ce n'était que les prémices d'une longue saga qui s'annonçait totalement électrisante et c'est déjà fini, à cause de types pas foutus de voir plus loin que le bout de leur carte Gold. Certes, avec une bonne vingtaine de morceaux par épisode - cette bande-son de malade, de fétichiste, de maniaque!!! - rien que le budget droits d'auteurs devait leur coûter une blinde. Mais rien à foutre! Ce feu d'artifice sonique est la bande originale de rêve d'un univers qui nourrit tous nos fantasmes! Voir l'envers du décor avec un tel sens de l'entertainment m'a transformé en canapé humain pendant deux jours. Les magouilles, luttes de pouvoir, batailles d'égo, compromis, trahisons, pétages de plombs, maccabées…Tout y est. Avec évidemment le sexe et la drogue. Le stupre. Le sang. La rage. L'excès, sans rien exagérer. Car dans ce monde-là, fiction et réalité ne peuvent pas être distinguées, le rock étant excès. Personne n'a jamais mieux retranscrit ça à l'écran que Scorsese qui réalise himself le magistral pilote de quasi deux heures. Ce rythme! Tout commence par là. Des bureaux d'American Century Records aux salles de concert, en passant par les boîtes de nuit, les locaux de répète et les studios d'enregistrement, ce gars-là t'embarque dans son beat et te lâche plus! Et Bobby Cannavale! Il est dément dans le rôle de Richie Finestra. Son trip Bruce Lee dans le 2ème épisode, c'est un putain de grand moment. Après son rôle de psychopathe dans Boardwalk Empire, il nous prouve qu'il avait la carrure pour porter un projet d'une telle ambition, et ça grâce à ce rôle en or massif de producteur cocaïné qui cherche son second souffle pour raviver la flamme de son label! Et souffler sur les braises encore brûlantes de l'âge d'or du rock! Il capte la lumière le bonhomme, faut dire qu'il envoie un peu de charisme groovy. Mais dans les épisodes suivants l'intrigue n'oublie pas de développer des personnages secondaires hyper-attachants comme Zak, l'associé juif prêt à hypothéquer sa maison pour produire un artiste découvert lors de la bat mitsvah très coûteuse de sa fille ou Lester, le talentueux bluesman trahi qui se reconvertit en manager revanchard. Les punchlines de Julius "Julie" Silver - "Un DJ acceptera de les passer à la radio si je le suce pendant qu'il sniffe un rail de coke sur le cul de Raquel Welch! " - c'est du caviar servi en intraveineuse! A propos de caviar, Olivia Wilde qui incarne Devon Finestra, on en parle ou pas?? Jamais au cinéma on ne l'avait vue comme ça, JAMAIS! Les saisons suivantes l'auraient amenée direct dans le carré VIP des rôles d'épouses sublimes meurtries par un mariage qui part en vrille, façon Sharon Stone dans Casino! Du Scorsese pur jus bien sûr. Les Affranchis, After Hours, Le loup de Wall Street… y a de tout ça évidemment. Mais qu'est-ce que c'est bon de croiser des petits rôles comme Plant et Bonham, Peter Grant, Warhol, Bowie, Lennon, Alice Cooper, Johnny Thunders, Gram Parsons, Stephen Stills, Elvis, le colonel Parker…C'est bourré de clins d'oeil et d'anecdotes sur l'histoire du rock. Un truc fait par des passionnés pour des passionnés, normal que ça fasse pas 10 millions de téléspectateurs. C'est pas un hasard si l'histoire débute en 1973, juste après cette période magique durant laquelle la créativité du rock était phénoménale. On sent une nostalgie sincère devant ce témoignage d'une époque en pleine mutation mais aussi une pure jubilation avec l'arrivée explosive du punk, la naissance du hip hop et du disco! La quête du nouveau son, du nouveau hit, le truc qui va te filer un shoot de pure adrénaline, symbolisée par Richie Finestra, cet homme à la croisée des chemins. L'histoire de ce mec qui est sur le point de tout perdre et qui doit faire des choix cruciaux, c'est Vic MacKey, c'est Walter White, la poudre dans les narines et les cheveux en plus! Un homme en équilibre instable, qui se retrouve dans une merde sans nom et dont les actes vont entraîner des conséquences sur son entourage. Un mec qui se débat corps et âme dans un milieu de dingue. Sauf que là c'est dans le chapiteau et les coulisses du big rock'n'roll circus des 70's que ça se passe, reconstitution foisonnante sublimée par une direction artistique transpirant l'amour du détail vintage aux quatre coins de l'écran. Quand on pense que les saisons 1 des grandes séries sont jamais les meilleures, on imagine carrément la suite que ça aurait pu donner. Ici, c'est juste la base rythmique qui est posée: batterie et basse, plus quelques gimmicks. Les saisons suivantes auraient apporté le riff, le refrain, le solo de guitare, le break, les cymbales qui vibrent, et bim! L'apothéose, man! Le potentiel, putain. Mais non, la suite de "Vinyl" a été froidement rangée au placard. Impitoyablement. Merde, Spinal Tap a pas eu un grand succès à sa sortie et puis c'est devenu avec le temps un truc complètement culte, qui en plus a marqué toute une génération de rock stars!! Sauf que HBO veut manifestement marquer toute une génération d'annonceurs. Bobby Cannavale a foutrement raison quand il déclare qu'HBO ne défend plus les créateurs comme avant. Nouvelle preuve: ils ont annulé le projet d'adaptation d'Utopia de David Fincher car les audiences en Angleterre étaient décevantes. Fuck!! Zéro prise de risques alors qu'ils se sont faits des couilles en or avec "Game of thrones"!!
Tiens quand je repense à cette photo froissée que Richie Finestra trouve dans sa veste à la fin du show, cette photo prise par sa femme qui se retrouvera sur la couverture du disque des Nasty Bits, je me dis que c'était une triste prémonition. Et ouais, "Vinyl" avait annoncé sa propre mort avec cette image symbolique de la fameuse guitare Gretsch de Bo Diddley encastrée par Richie dans son téléviseur. Rock et TV ne feront décidément jamais bon ménage.