Cinquième saison, cinquième somptueuse plongée dans l’univers de la pègre du New-Jersey aux côtés du plus charismatique des protagonistes de séries télévisées qui soient. Tony Soprano, imbu de lui-même, en cours de divorce, troublé par le retour dans la vie active de gangsters de la famille libéré de prison, confronté à ses troubles psychiques, semblent virevolté au jour le jour dans un univers impayable de corruption, de violence et de ressentiments. La vie n’est pas rose alors que le clan new-yorkais voisin s’entretue pour une nouvelle prise de pouvoir, alors que les balances fleurissent et que les vices de chacun sont exacerbés. Une belle leçon d’écriture dramatique que cette cinquième volée, toujours sous la rigoureuse direction du Showrunner charismatique qu’est David Chase, emblématique trouble-fête en séance de travail, tortionnaire de ses comparses scénaristes mais diable de bon auteur. Les Sopranos, toujours au top, confirment inévitablement leur domination sur le marché télévisuel, maintenant en concurrence directe avec un autre show de la firme HBO, The Wire.
La forme de routine qui caractérise le show depuis maintenant des années s’apparente à un état de grâce narratif parmi les plus étoffés, sorte de complainte jouissive d’une vie de criminel endurci, les deux pieds dans la fange mais pourtant orgueilleux à souhait. Plus les péripéties malhonnêtes de Tony s’additionnent, plus le public est amené, cruellement, à juger ce parrain du crime organisé. Sa cruauté, son infidélité, ses mensonges, son égocentrisme sont à tout moment mis dans la balance face aux qualités du bonhomme, son charisme, son assurance paternel indéniable et sa vision nuancée du monde. Le public, comme précédemment, aime Tony, enfin, aime surtout aimer Tony pour l’immoralité de cette passion pour le mal social. James Gandolfini, lui, rend hommage à la stature de son personnage en cumulant une fois encore les séquences endiablée de colère, les moments doucereux d’émotion, affichant toujours cette empathique manquante et ce côté malin parmi les plus fins.
En dépit de la séparation d’avec Carmela, muée ici en femme combattante, mais pas trop, face à la puissance d’influence de son mari, l’une des grandes forces de cette saison est bel et bien la présence d’une tronche connue de grand et petit écran, Steve Buscemi. L’acteur, charismatique lui aussi non pas pour ses qualités physiques mais pour son jeu imprévisible et étonnamment vivant, constitue l’une des forces travailleuses d’un récit qui verra le business faire de l’ombre à la famille, les liens du sang si chers à notre parrain. Oui, si la série de David Chase en reste à son ton posé et son évolution subtile, les choses bougent énormément, dans une composition qui s’apparente d’avantage à une succession de mini films qu’à un Soap traditionnel. Chaque épisode parmi les treize constitue à lui-seul une introspection, une aventure, utilisant des personnages parfois délaissés. Pour autant, le tout s’avère pourtant d’une rare homogénéité.
Voilà donc le cinquième maillon d’un chef d’œuvre incontestable, s’adressant à un public exigeant, investi. Partant sur de solides bases narratives, posées, réfléchies, David Chase nous offre une fin de saison pour le moins tonitruante et sans pitié, faisant passer des personnages principaux à l’état de cadavres nécessaires, l’avènement de deux séquences dramatiques et violentes d’une rare intensité. Sublime, dans tous les sens du terme. Un monument sur petit écran qui renverse les tendances, faisant abstraction de toutes influences pour se diriger vers le statut de mythe. 20/20