La révolution télévisuelle étant en marche depuis l’arrivée sur le câble d’un certain Tony Soprano, David Chase, sa Showroom, ses producteurs et sa chaîne, se devaient de ne pas décevoir pour ce retour attendu au tournant. Débarrassé de bien des ennuis, Tony revit, mais c’était sans compter sur la réapparition d’un trouble-fête notoire, d’une frangine pour le moins coriace et d’une multitude de péripéties sentimentales et violentes. Les Soprano sont de retour, en force et sans compromis, aux travers d’une seconde saison plus nuancée que la précédente mais tout aussi passionnante. Oui, une balance, des rivaux, une femme en pleine crise existentielle, des enfants qui virent adultes, le gouvernement sur le dos, la psychanalyste de Tony commence à lui manquer. Mais celle-ci, troublée par les évènements passés, sera-t-elle en mesure de reprendre en main son terrifiant patient?
Le rythme est ici le même, langoureux. Le ton, posé et contemplatif, ne change pas, lui non-plus. La réflexion sur l’identité, la place sociale ou encore le rôle d’un leader au sein de deux familles radicalement différentes sont les thématiques fortes du Showrunner expérimenté qu’est Chase. Alors que la première saison était une image projetée du passé du créateur de la série, nuancée, certes, cette seconde composition de treize épisodes s’affiche comme nettement moins personnelle mais toute aussi bien construite. Tony prend du galon, maintenant boss officieux d’une branche mafieuse sous le halo des projecteurs. Tony, toujours aussi attachant, charismatique gangster à l’allure pachydermique, démontre aussi sa cruauté, son attachement aux valeurs criminelles dont il est l’ambassadeur, en dépit de son rôle de père de famille. James Gandolfini, une fois encore, brille de mille feux, explose littéralement à l’écran, tant et si bien que l’acteur, à la ville, ne saura plus assumer son nouveau rôle d’icone américain. Mais cela n’intéresse que les nombreux passionnés.
La force du Show de HBO, incontestablement, est de parvenir à rendre attachant un membre mafieux, meurtrier de son état, commanditaire d’assassinat, coupable de racket, de malversation, de trafic en tous genres, et par-dessus le marché infidèle et parfois blessant pour sa propre descendance. Oui, mais Tony est aussi un homme dont les faiblesses sont caractérisées par des angoisses, un mal-être sournois qui le ronge, qui le rend aussi faible face aux tourments que tout un chacun. Confronté au mal, le public prend pourtant parti pour lui, une identification naturelle en regard au portrait soigné que dresse David Chase de son personnage. Mais rassurons-nous, Tony n’est pas seul. Les personnages, principaux et secondaires, fourmillent autour de lui, dans un bal à la fois joyeux et funèbre de va-et-vient, de traîtrise et d’allégeance à celui qui domine son monde, son pour perdurer, soit pour mieux tomber.
Cette deuxième saison confirme donc, sans trop forcer, le statut de chef d’œuvre affublé aux Soprano, Show révolutionnaire, socialement, mais qui se permet aussi la richesse scénaristique du cinéma d’auteur, la technicité de mise en scène des grands polars du grand écran. David Chase est un génie et son acteur un monstre sacré. Est-ce nécessaire de le rappeler? Quoiqu’il en soit, la série ne s’adresse pas à tout un chacun, de par son immoralité, peut-être, mais surtout de par son rythme calculé, de par ses non-dits et ses laisser-entendre. Bijou parmi les rubis qui jalonneront la télévision depuis l’an 2000, les Soprano, c’est un précurseur qui s’assume, le portrait d’un personnage sans qui les Vic Mackey et autre Walter White n’aurait jamais vu le jour. Diablement délicieux. On ne regarde pas les Soprano, on savoure les Sopranos. 18/20