It's not TV, it's HBO. Les feux d'artifices marquant l'avènement d'un nouveau millénaire n'ont pas encore éclairés les cieux qu'une révolution télévisuelle couve dans les rangs d'une chaîne câblées audacieuse, HBO. David Chase, Showrunner des Soprano fait le pari risqué mais payant de poursuivre la voie tracée par le série carcérale, Oz, soit une mise en abîme de tout ce que les dramas télévisuelles ont représentés jusque ici. Le héros n'est plus, voici l'anti-héros. Le monde découvre, stupéfait, le quotidien d'un père de famille, banlieusard, dépressif et accessoirement capitaine, du moins durant cette première saison, d'une famille mafieuse ayant la main mise sur le nord de l'Etat du New-Jersey. Voici donc l'envers du décor, les fondements d'une double-vie de famille, celle du domicile et celle du business.
Fortement influencé par les célèbres Affranchis de Martin Scorsese, pour lequel David Chase ne se prive pas de vanter les mérites, les Soprano marquent l'arrivée à la télévision d'une nouvelle catégorie de personnages, les mauvais. Mais paradoxalement, les mauvais semblent encore meilleur que les autres. Tony Soprano, incarné par le très regretté James Gandolfini, est l'antithèse du parrain mafieux, et pourtant. Fragile, colosse bancal, père attachant, il est aussi un redoutable criminel, un personnage qui aurait jusqu'alors rebuté tous producteurs de télévision qui se respecte. Par le prisme d'une légère satisfaction à pouvoir s'attacher à l'immoral, le public s'indentifie pourtant corps et âme à cet ours domestique, parfois déchaîné, jusqu'à lui vouer un véritable culte. Oui, l'homme n'est pas bon, c'est un criminel, mais il est aussi un homme tourmenté, un père, un homme sur qui s'abat un ennui de santé bien trop fréquent à notre époque.
David Chase illustre non pas son propos en se contentant de plagier son modèle, Martin Scorsese. Non, le showrunner va bien plus loin et offre un ton résolument comique à son drama, un ton résolument humain. Ses gangsters, tous italo-américains, ne sont pas des figures inébranlables. Leurs cultures respectives font défauts, leurs peurs sont aussi voyantes que leurs clinquants costumes. Ils sont des affranchis, oui, mais ils sont des hommes comme vous et moi. Voilà sans doute la clef de voûte d'une série TV ayant pris le parti très clair de se rapprocher de l'univers du grand écran, du cinéma. Tony Soprano ne vit pas, durant les treize épisodes qui composent la saison, de multiples aventures invraisemblables, non, il se contente de vivre, d'appréhender ses angoisses, de concilier vie de famille et business illicite.
Tellement attachant, tellement imprévisible, notre bonhomme se confronte très vite au pouvoir de la famille, au ressentiment d'une mère gâteuse, aux caprices d'une femme qui aime à fermer les yeux sur les activités de son mari et profiter de ses revenus, à des enfants qui prennent conscience de la place sociale de leur père. Le tout est implicitement passionnant, alors que bon nombre de thématiques sont traitées en toute transparence. Dans le milieu, la concurrence est rude, la police fédérale guette, mais pourtant, David Chase et son armée de scénaristes n'oublient rien. Le débat sur la cause de l'Italo-américain, fier de ses origines mais ignare de la langue et des cultures autre que culinaires de son pays d'origine. La confrontation entre hommes d'affaires aux activités légales et mafieux, au statut socialement similaire. Tout y passe, avec un plaisir de visionnage garanti. En somme, le première saison d'un chef d'oeuvre de la télévision. 18/20