Il fut un temps où une saison de « Game of Thrones » était synonyme d’univers riche et mystérieux, de scénario aux intrications complexes et aux surprises savamment orchestrées. Il fut un temps où une saison de « Game of Thrones » était synonyme de personnages subtils et ambigus, lesquels échafaudaient des plans et des relations toujours sournoises mais jamais vraiment manichéennes. Il fut un temps où, dans « Game of Thrones », on voyait des héros et des héroïnes apprendre à faire face ; apprendre à accepter le terrible fatum qui construisait leur vie (et leur mort). Il fut un temps où, dans « Game of Thrones » se retrouver à trois contre un c’était mourir ; où prendre un coup de couteau dans les entrailles c’était mourir, et où mourir… c’était mourir. Et puis nous voilà tous désormais face à cette saison 8 – la der des ders (à moins que HBO trouve un moyen détourné de nous la « Jonsnowiser » cette série) – une saison qu’on a tous attendue ; une saison dont on s’était tous imaginé le contenu pendant près de dix ans ; une saison qu’on espérait tous vivre comme un accomplissement. Et si je me doute que certains sauront trouver là dans cette huitième itération tout le plaisir qu’ils étaient venus y chercher (et tant mieux pour eux) moi je ne peux m’empêcher de me questionner. Qu’est donc devenu le « Game of Thrones » qui me faisait jadis vibrer ? Où est-il passé ? Ou plutôt qu’en a-t-on fait ? Autrefois on suivait une grande mécanique scénaristique faite d’une multitude de parcours croisés qui interagissaient entre eux, mais avec cette saison 8 on se retrouve soudainement à suivre un fil narratif presque unique et univoque (
on suit pour l’essentiel l’avancée de l’armée de Daenerys, Cersei étant clairement reléguée au trouzième plan
). Autrefois les épisodes étaient essentiellement constitués de moments de constructions personnelles et de manigances politiques, mais avec cette saison 8 on ne s’arrête qu’aux interminables batailles et autres discussions remplies d’états d’âmes et de déversoir d’émotion (
…quand il ne s’agit pas de chanson de Tyrion ! Oui oui ! Ils en sont arrivés jusque là ! C’est fou quand même non ?
). Plus personne n’évolue ou n’élabore de plan et s’il le fait cela se décide en deux coups de cuillère à pot et sans qu’on puisse y voir une quelconque logique ou intelligence (
l’exemple frappant – mais ce n’est pas le seul – reste celui de Daenerys qui opère un volte-face aussi rapide et subtil que celui d’Anakin Skywalker dans la « Revanche des Siths », ce qui n’est clairement pas une comparaison flatteuse me concernant.
). Autrefois l’intrigue était construite autour d’aboutissements et de plans logiques que certains aléas venaient totalement bousculer, rendant ainsi ces ruptures d’autant plus fortes et tragiques pour le spectateur. Mais avec cette saison 8, la logique c’est ce qu’on cherche à éviter le plus possible, surtout quand on a décidé de conduire l’intrigue manu militari jusqu’à une scène ou un dénouement voulus.
Ainsi on établit comme stratégie d’amener Lord Mr. Freeze jusqu’à Bran pour qu’il tombe dans un piège mais on va malgré tout se battre jusqu’à la mort pour empêcher son avancée (????). De même on passe trois épisodes à se demander comment régler la rivalité pour le trône entre Daenerys et Jon / Aegon alors que la solution la plus évidente crève les yeux depuis la saison précédente : un mariage. C’est d’ailleurs tellement évident que le scénario va tortiller du fion autant qu’il pourra pour faire en sorte que ce mariage ne soit pas possible. Finalement Jon n’arrive plus à bécoter Daenerys. Et puis Daenerys partagerait-elle seulement le pouvoir ? Tant de questions ! Mais au lieu de fuir la solution, adoptez-là ! Et si vous voulez que ça capote par la suite, faites capoter le mariage ! Mais qu’au moins on fasse les choses ! Mais bon, le pompon dans toute cette saison reste quand même ce moment où Daenerys décide de tout cramer à King’s Landing alors qu’elle a bataille gagnée. Elle n’a aucun intérêt à le faire. Ça la contraint à devenir un personnage incroyablement sot et aveugle pour justifier sa posture, et ça tue toute vraisemblance et ambiguïté dans le propos. Bref, c’est LE mauvais choix de cette saison. Mais on l’a quand même pris parce qu’on voulait que ça finisse avec Daenerys qui se fasse buter par Jon ! Bah voyons !
Bref, à bien tout prendre, force nous est de constater que cette saison 8 de « Game of Thrones » se pose clairement comme une sorte de gigantesque contre-pied (pour ne pas dire comme une sorte de gigantesque trahison) fait à l’état d’esprit originel de cette série. Et s’il est vrai que cette ultime saison n’est certes pas à l’origine de ce retournement, elle reste néanmoins celle qui en pousse la logique la plus loin. En conséquence, ces six (très) longs épisodes se sont vite transformés, me concernant, en un long tunnel d’ennui et/ou d’exaspération. Un tunnel d’autant plus difficile à supporter qu’à ce volte-face scénaristique s’y est associé le même type de volte-face en termes de mise-en-scène. Le retravail numérique de l’image s’immisce dans quasiment tous les plans, même ceux pour lesquels cela ne s’impose pas. Ainsi peut-on se retrouver avec des scènes sur des bateaux où la lumière sur les visages ne varie pas d’un iota ou bien encore avec des scènes sensées se passer dans l’obscurité d’une crypte éclairée au flambeau mais qui aboutit malgré tout à des visages baignés d’orange et de bleu. (Oui, on en est arrivé à ce niveau là.) Côté musique : même constat. Il ne s’agit plus de la penser comme une ligne de narration extradiégétique qui viendrait colorer subtilement une scène. Non, désormais tout doit être surligné grossièrement quoi qu’il arrive. Et à ce petit jeu les batailles deviennent des moments particulièrement difficiles à suivre (
le dernier tiers de l’épisode 3 : mais ouille !
). Et ce qu’il y a de terrible là-dedans, c’est que ce tournant formel semble totalement assumé. Depuis que le duo Benioff / Weiss a pris le pas sur les romans de G.R.R. Martin, l’orientation de cette série s’est clairement tournée vers une lecture et un traitement plus mainstream. J’irais presque jusqu’à dire que, depuis la saison 6, on a assisté à une progressive « Marvelisation » de « Game of Thrones ». Et si j’entends que ça n’en a pas dérangé certains, cela doit quand même nous questionner sur la cohérence globale de l’œuvre. Voir six épisodes durant lesquels la plupart des personnages chouinent à tout bout de champs, pour moi, ce n’est pas respectueux de l’identité et de la tonalité de base sur laquelle reposait cet univers. Même chose quand ces personnages passent des scènes entières à expliquer littéralement et sans ambiguïté ce qu’ils pensent et ce qu’ils font. Même chose également quand ces mêmes personnages, soudainement confrontés à une bataille dantesque, se retrouvent soudainement transformés en golgoths capables d’accomplir des prouesses physiques incroyables. (
Je pense notamment au fait que Jon et Daenerys puissent chevaucher leur dragon comme des Mirage 2000 ; que Jaime puisse marcher comme un fringant jeune-homme pendant des heures après s’être fait planter à deux reprises par Euron ; et je n’ose même pas parler des batailles durant lesquelles un héros peut tenir en respect ses ennemis par grappe de vingt sans souci.
) Alors peut-être que ça satisfera les fans d’« Avengers » tout ça, mais pour moi ça me donne un peu l’impression qu’on m’a transformé mon Mozart en opéra-rock. Et cette saison 8 entend pousser tellement loin la spectacularisation et l’émotion de sa conclusion qu’elle ne pense plus ses scènes qu’ainsi : soit il faut que ça se batte, soit il faut qu’on créé un moment d’émotion préliminaire pour générer ensuite un enjeu sur la bataille qui va suivre. Au fond, le seul épisode qui sort de cette logique c’est le dernier. Et c’est d’ailleurs ce qui sauve pour moi cette ultime saison d’une triste note de 1/5. Pour moi, cet ultime épisode, l'air de rien, il parvient à éviter de justesse le naufrage total.
Sa grande force à cet épisode, c'est qu'il a l’intelligence de ne pas se penser autour d’une grande bataille à la Star Wars. Au contraire, il a la pertinence de penser à l’après. Il pose d’ailleurs une esthétique qui – pour une fois dans cette saison – vient enrichir l’univers global de la saga. Scénaristiquement, en tuant une Targaryan de la main d’un nouveau kingslayer qui sera autant aimé qu’haï pour cela, laissant au passage derrière lui une nouvelle famille monter sur le trône, ce dernier épisode parvient à boucler fort astucieusement la boucle. Un peu comme « The Wire », il y a cette idée qu’au fond tout ça a conduit à changer les gens de place mais sans pour autant changer le système qui les broie, ce qui aboutira certainement, quelques années plus tard, aux mêmes conséquences. Après, au-delà de ça, le souci de ce final c'est que sa puissance est malgré tout atténuée par le parti-pris de cette saison. Une transition mieux réussie de Daenerys aurait davantage donné d'ampleur à cette conclusion. Même chose finalement concernant l'élection de Bran qui n'est pas absurde en termes de dramaturgie mais qui par contre est très mal amenée, se concrétisant qui plus est par une scène longue, bavarde et statique. De même, le fait qu’on connote trop positivement ce final, comme si tout rentrait dans l’ordre sous le règne de Bran the Broken, réduit l’ambiguïté réelle du propos. Cette foutue réalisation enjolive trop les choses si bien que la dimension « happy ending » est surappuyée par rapport à celle qui démontre qu'au fond la « roue » n'a pas été brisée.
Et au fond c’est un peu là que j’enrage. Cette série avait, de mon point de vue, une excellente conclusion sous le coude. Seulement voilà, à trop se focaliser sur les combats et sur l'émotion facile, Weiss et Benioff ont oublié de travailler la subtilité de leurs personnages, de leurs situations, de leur cheminement. Ils ont joué la carte de l’habitude, de la simplicité, de l’effet de manche… Et je pense malheureusement qu’ils n’avaient pas le talent nécessaire pour compléter avec la même épaisseur le travail de G.R.R. Martin. Cette dernière saison de l’ennui et de l’exaspération en est malheureusement pour moi la triste illustration. Et étonnamment, c’est aussi cela qui va contribuer à faire de « Game of Thrones » une série totalement de son temps. De la même manière que ses premières saisons avaient su incarner l’explosion en termes d’audace du monde sériel, ses dernières vont incarner à la perfection les modes et raisons de la fin de cet âge d’or. Un âge d'or qui semble d'ailleurs désormais déjà très loin. Beaucoup trop loin… Mais bon... Après tout ça, ça ne reste que mon point de vue. Donc si vous n’êtes pas d’accord et que vous voulez qu’on en discute, n’hésitez pas et venez me retrouver sur lhommegrenouille.over-blog.com. Parce que le débat, moi j’aime ça… ;-)