Alors qu’on pensait avoir définitivement fait le tour de l’univers du plus célèbre des détectives (malgré le group coup de fouet apporté par Guy Ritchie sur grand écran), Steven Moffat et Mark Gatiss ont réussi une véritable prouesse grâce à une idée tout simple : transposer les aventures de Sherlock Holmes dans le Londres du 21e siècle. Un bond temporel qui permet évidemment au scénariste de considérablement moderniser les enquêtes mais aussi d’équiper le détective d’un arsenal technologique dont il était jusque là privé (l’utilisation du téléphone portable, les analyses de sang en laboratoire…). Mais, le tour de force des producteurs résident surtout dans leur refus de céder aux sirènes du modernisme à tout prix, pour mieux puiser dans les romans de Conan Doyle, de façon souvent habile mais toujours dans un grand souci de fidélité. Les amateurs pourront ainsi se régaler du détournement de grands classiques tels que "L’étude en rouge", "Un scandale en Bohème", "Le Chien des Baskerville", "Le Dernier Problème" ou encore "La maison vide", comme ils seront rassurés de voir que les personnages n’ont pas été dénaturés. Au contraire même, puisque les scénaristes ont repris les principales caractéristiques de chacun des personnages tout en gommant certains petits défauts inhérents au ton parfois trop manichéen des romans. Ainsi, Holmes (campé par l’atypique Benedict Cumberbacht, dont le physique à part et la diction si particulière transcendent le personnage) est toujours aussi arrogant et misanthrope mais il se voir doté d’un solide sens de l’humour et laisse entrevoir quelques failles (l’amitié pour Watson, l’affection pour Mme Hudson, l’attirance pour Irene Adler…) renforçant l’empathie que l’on peut avoir pour le détective. Cette humanisation progressive du personnage est, d’ailleurs, l'un des challenges les plus ardus mais, également, les plus réussis de la série puisqu'il ne se fait pas au détriment de son inadaptation sociale. Watson (Martin Freeman, formidable d’humour à froid et de souffrance à fleur de peau) est toujours aussi fidèle et indispensable à Holmes mais joue un rôle beaucoup moins passif en remettant régulièrement le détective sur les rails. Idem pour les personnages secondaires tels que l’inspecteur Lestrade (Rupert Graves) beaucoup plus enclin à reconnaître le talent de Holmes que son homologue sur papier, Mycroft Holmes (Mark Gatiss) plus faillible et donc plus humain ou encore Madame Hudson (Una Stubbs), plus amusante et utile au détective. Quant à ses adversaires, on retiendra surtout l’envoûtante Irene Adler (Lara Pulver) en vile tentatrice, le répugnant Magnussen (Lars Mikkelsen) et l’époustouflant Moriarty (Andrew Scott) en diabolique Némésis. "Sherlock" est donc loin de la trahison annoncée et transcende l’ouvre de Conan Doyle en prouvant son caractère résolument intemporel. L’élégance de la mise en scène est également pour beaucoup la formidable réussite de la série, qui ne sombre jamais dans la facilité (Londres est magnifiquement filmé, l’esprit de déduction de Holmes est ingénieusement retranscrit…) et s’autorise même quelques très grands moments de tragédie (les appels téléphoniques passés par Moriarty via ses victimes, la conclusion du superbe "Un scandale à Buckingham", le climax final de la saison 2, la révélation du passé trouble de Mary Watson…). La série bénéficie enfin d’une formidable BO (superbe générique, extraordinaire thème pour Irene Adler...) et d’un humour typiquement anglais qui n’hésite pas à jouer avec la mythologie Holmes (l’ambiguïté des rapports entre le détective et son complice Watson est la source de nombreuses discussions, le chapeau de Holmes devient un running gag…). Ainsi, à l’exception de quelques petites baisses de rythme, "Sherlock" est sans doute la série d’enquête policière actuelle la plus enthousiasmante et la plus élégante.