Autant le dire tout de suite : cette adaptation des aventures de Sherlock Holmes et du Docteur John Watson, signées par les scénaristes Mark Gatiss et Steven Moffat, est certainement la meilleure jamais faite, toutes séries et films confondus. Tout en restant parfaitement fidèle à l’univers de Sir Arthur Conan Doyle, les auteurs le transposent dans l’époque contemporaine et font tout pour moderniser le personnage de Sherlock Holmes. Ils adaptent l’esprit des livres tout en gardant intacts le suspense et le célèbre esprit de déduction du détective. Ainsi ont-ils par exemple utilisé à de nombreuses reprises les nouvelles technologies pour les mettre au service des différentes intrigues : Internet (pour les recherches de Sherlock et le blog de Watson), les smartphones (pour l’utilisation d’applications et l’envoi rapide d’informations), ou encore le GPS sont autant d’outils qui permettent aux auteurs de rendre "Sherlock" moderne, accessible et contemporain. Les principales intrigues des nouvelles originelles, comme "Le Chien des Baskerville", "Une étude en rouge" ou encore "Les Cinq pépins d’orange" sont reprises, mais modernisées et adaptées pour ne garder que l’essentiel : le suspense, le surnaturel parfois (bien qu’il y ait toujours une explication logique aux différentes affaires), la tension et la force de déduction de Holmes. A l’inverse de l’image de Sherlock Holmes que l’on a, à travers les nouvelles de Conan Doyle ou l’interprétation de Jeremy Brett, Gatiss et Moffat nous présentent un Sherlock Holmes rajeuni. En jouant sur le côté sautillant du personnage, tempétueux, présomptueux, ils créent un homme imprévisible et brillant, parfois insupportable, que Watson doit suivre, servir, soutenir à n’importe quel moment. Cela implique donc d’être prêt à n’importe quoi n’importe quand. Du fait, la série a beaucoup de rythme, et on ne s’ennuie pas un instant. On suit les personnages dans beaucoup de lieux typiques de Londres, comme l’usine de Battersea, les rives de la Tamise ou encore une friche ferroviaire, mais aussi dans la campagne anglaise. La série bouge et on aime ça ! Cette modernisation est très soutenue par les techniques employées dans la série. On peut encore une fois saluer le travail de production de la BBC qui, décidément, met les moyens financiers adéquats pour permettre la création de véritables œuvres pouvant être qualifiées de cinématographiques. La qualité de la photographie de "Sherlock", filmée en haute défintion, est excellente. Les réalisateurs Paul McGuigan, Euros Lyn et Toby Haynes n’ont pas hésité à prendre des risques, à utiliser quelques caméras embarquées judicieusement placées, afin de rendre compte des intrigues et de la vision des personnages. On peut voir dans cette série un grand éventail d’effets spéciaux, pas spectaculaires, mais diablement efficaces, qui permettent de donner du rythme à l’intrigue, de l’humour ou qui évitent trop de bavardages. Qu’ils soient sous forme d’incrustations à l’écran (de texte ou d’image), d’effets d’optiques, qu’ils soient dans le changement de décor dans le plan ou plus traditionnels, les effets spéciaux sont ingénieux et participent à la modernité de la série et intègrent le spectateur. Il doit lire, déduire parfois, et il est très plaisant d’avoir la sensation de participer réellement à l’enquête en cours. A noter que la musique, avec quelques thèmes bien écrits, très rythmés, avec beaucoup de cuivres syncopés, insuffle du dynamisme et de la légèreté aux tribulations des deux personnages. On a aussi un duo Holmes/Watson renouvelé. "Sherlock" est une série policière, certes, mais dans laquelle on retrouve cet humour britannique qu’on aime tant. On rit beaucoup, et cela est dû en grande partie au duo formé par Benedict Cumberbatch (Holmes) et Martin Freeman (Watson). Tout oppose ces deux personnages : le grand et le petit, le brun et le blond, l’un est déconnecté du monde quotidien, l’autre, militaire, très organisé. L’humour réside dans leurs différentes perceptions du monde, dans certaines situations cocasses : Holmes, pourtant grand érudit, ignore parfois certaines choses élémentaires, il est très maladroit dans les rapports humains alors que Watson, lui, est très terre à terre, compatissant et parfois naïf. Le jeu des deux acteurs accompagne cette opposition : Cumberbatch, très élégant, est tout en mouvements, gesticule avec brio, déclame des monologues impressionnants avec une vitesse d’élocution prodigieuse, mais peut aussi rester prostré ou s’enfermer dans son "palais mental", alors que Freeman est plus figé (Watson est ici un médecin militaire blessé en Afghanistan), traditionnel, pantouflard, avec un style vestimentaire assez particulier. Un grand soin est apporté par les auteurs à cette relation, parfois traitée avec ambiguïté mais toujours avec humour. Ce qui frappe ici, c’est également la complémentarité du duo : ils s’entre-aident (Watson apporte une réponse à Holmes souvent par hasard…), se stimulent, se chamaillent, et l’un semble ne pas pouvoir jouir de toutes ses facultés quand l’autre n’est pas là. Comme un vieux couple ! Et le méchant est
Moriarty. Son nom est évoqué dès le premier épisode. Il ne prend corps que tard, à la fin de la saison 1, mais plane constamment dans un ciel obscurci par les meurtres, enlèvements et suicides. Moriarty est probablement l’un des personnages les plus machiavéliques que la littérature policière ait jamais créé
. Et l’acteur Andrew Scott l’incarne à merveille, imitant parfois Sherlock, se jouant de lui, le provoquant. Moriarty est
à la pointe de la modernité évoquée plus tôt : il l’utilise pour montrer un visage manipulateur, menaçant et omnipotent
. Il est également le stimulant d’un Sherlock qui s’ennuie, un amoureux attentionné et un comédien hors pair. Bref, un personnage jubilatoire à interpréter, sans aucun doute. Au final, tous ces ingrédients combinés font de "Sherlock" un bijou des séries télévisées