Après cinq années passées dans les couloirs des commissariats, dans les rues gangrenées par la drogue de Baltimore, on ne saurait être assez élogieux pour parler de The Wire, David Simon tourne une page et nous offre une nouvelle immersion sociale de toute grande facture. 2006, en effet, voyait les Etats-Unis, plus particulièrement la Nouvelle-Orléans, affronter la pire catastrophe civile de son histoire, l’ouragan Katrina. Simon, s’associant à Eric Overmyer, va s’intéresser de très près à la vie après le cyclone, à la manière dont la communauté éclectique de cette métropole du sud, berceau d’une multitude d’expressions artistiques et musicales, renaîtra de ses cendres, confrontée à la ténacité d’assureurs peu scrupuleux, à la passivité d’un gouvernement qui n’agira jamais comme il se doit. D’une catastrophe sans précédent, qui n’est en soi pas réellement le centre d’intérêt de Treme, David Simon livrera un feel-good movie à rallonges, une ode à la vie, un hymne en image à la Nouvelle-Orléans.
Aux côtés d’une bonne trentaine de personnages, certains plus importants que d’autres, nous plongeons en toute véracité dans les rues d’une ville à la fois meurtrie et plus ambitieuse, plus vivante, que jamais. Musiciens cachetonnant de concerts en funérailles, bohèmes, policiers, avocats, professeurs, cuisiniers, vedettes de la musique, une brochette complète de protagonistes ayant tous en commun l’amour qu’ils portent à leur cité, leur style de vie indissociable de l’histoire de la capitale de la Louisiane. Des ruines des quartiers défavorisés de Tremé aux rues touristiques du Vieux Carré, Simon et Overmyer nous immergent complètement dans cette culture, dans une ville qui doit renaître, absolument, en dépit de manque de considération du peuple et des autorités américaines à son égard. Qu’importe les souffrances, les pertes, La Nouvelle-Orléans doit revivre, retrouver son mardi-gras, son atmosphère perpétuellement festive, artistiquement riche. La fierté l’emporte donc sur le fatalisme, l’attachement au lieu sur l’envie de la fuir.
Treme, c’est donc une plongée d’un réalisme bluffant dans les entrailles de cette ville si particulière, dans les bars, les restaurants, les rues qui lui donnent vie. On pourrait reprocher aux co-créateurs du show d’esquiver certaines souffrances, privilégiant une certaine bonhommie, mais cela reviendrait à remettre en cause les fondements même de la série, ceux qui la rendent si attachante, si vivante, si optimiste. Il faut donc, comme dit l’adage, sombrer tout au fond du puits pour renaître enfin. C’est ce qui semble arriver aux habitants de la Nouvelle-Orléans, des habitants, qui chacun à leurs façons, tenteront de tour rebâtir, envers et contre tout. Une déclaration d’optimisme pure de la part de Simon et de ses troupes, une déclaration d’amour en l’œuvre collective humaine, sans nuages trop sombres ni béatitude mièvre. C’est touchant aussi bien que profondément réaliste.
Au rythme des nombreuses compositions musicales qui jalonnent les dix premiers épisodes de ce nouveau mythe indépendant proposé par HBO, nous respirons le même air que les nombreux protagonistes, nous immergeant en profondeur, pour un voyage oh combien exotique, dans les bas-fonds d’une ville que nous semblions tous connaître. La communauté est telle une fourmilière et chaque petite anecdote, chaque agissement, importe pour quelqu’un ou quelque chose. C’est là la force majeure de David Simon, soit passionner réellement son public en visant aussi large que possible, ou chaque scène est inspirée, parfaitement millimétrée dans sa conception. Inutile de vous louer, également, les qualités d’interprétation dans Treme, puisque chacun y est absolument excellent. Bref, les dix premières heures d’une série qui s’annonce déjà comme un chef d’œuvre. 18/20