Une série tout simplement éblouissante. Intelligente, passionnante dans sa façon d'aborder la vie réelle à travers d'anciens mythes revisités, True Blood (titre doublement ironique certes, déjà car le True Blood du film n'en n'est pas, mais aussi car la condition raciale du 'vrai' sang américain se pose régulièrement au fil des épisodes) est tout d'abord, à travers le parallèle vampires / humains, une dénonciation du clivage social blancs / noirs qui sévit encore dans le Sud des Etats Unis. Le racisme, latent ou exprimé, ravage encore les conditions de vie des gens aussi bien que l'alcool, la drogue et la pauvreté. Mélangés à des doses excessives de religion et de sexe, cela donne un cocktail détonnant (brillamment illustré par le formidable générique et sa musique country macabre) prêt à prendre feu à chaque moment.
Bon Temps est à la fois idéalisé et réaliste dans sa peinture d'une petite ville américaine crasseuse et humide de la Louisiane. Dans ce cadre noir, illustré par des couleurs chaudes (les tons marrons et rouges, symboles du sang, reviennent régulièrement) on nous conte l'histoire d'une fille qui se voudrait ordinaire mais qui est handicapée (ou du moins, qui reconnaît son don comme tel).
Cette fille paraît aux yeux de tous (y compris aux yeux du spectateur), naïve au possible, voire godiche, mais ce n'est qu'une façade, car Sookie, grâce à son don est bien moins idiote qu'elle n'en n'a l'air. L'interprétation magistrale d'Anna Paquin, qui refuse de rendre son personnage trop sympathique, trop symbolique, trop séduisant aussi, donne la tonalité réelle à la série, inconfortable au possible, qui ne ménage personne. Et c'est ce qui explique pourquoi à mon sens pourquoi son jeu est aussi décrié : il refuse d'être lisse, de se conformer aux attentes d'une héroïne trop... héroïque.
Les vampires sont tout simplement prodigieux : malfaisants, glacials, vaniteux, forts, leur inexpressivité est en fait une feinte. Leur esprit, et leur corps aussi, est encore là, et donc leur humanité aussi. Au final, peut-on dire que les vampires sont des humains ? Eh bien... Oui ! De la même manière qu'autrefois, on se demandait si les Noirs étaient des hommes... Cette évolution raciale, détaché de la partie fantastique, rend le propos de True Blood réellement passionnant.
Le côté fantastique penche plutôt du côté fantasmagorique, grâce à son décor et son folklore. Les effets spéciaux sont sobres et efficaces : moins on en voit, mieux c'est. Il est toutefois assez étonnant d'avoir privilégié les incisives au lieu des canines pour les crocs de vampires... Est-ce car les canines sont trop éloignées l'une de l'autre, ce qui permet de moins bien mordre et tenir sa victime ? N'étant pas vampire je ne sais pas ;)
La série se démarquant assez nettement des romans, il vaut mieux les séparer mentalement pour apprécier l'un et l'autre. En effet, la série propose d'excellentes idées que n'aurait pas renié Charlaine Harris à mon sens (notamment la présence de Jessica Hamby, jeune vampire attachante qui tente de vivre comme elle est). Vouloir suivre linéairement les romans serait trop contraignant : la substance est trop riche, elle ne peut pas assez idéalement à l'écran. Si faire une série télévisée offre plus de possibilités de respect d'une oeuvre qu'un film de cinéma, elle ne peut pas non plus se permettre de suivre à la lettre un roman qui n'en n'a pas forcément besoin. Dans le cas de True Blood ça tombe bien : il est agréable de voir par exemple un jeune gay noir qui fait tout pour s'en sortir, et sa cousine trop caractérielle aussi. Cela manquait au roman. Le personnage du frère dans la série est par exemple un condensé du frère et de JB du Rone, un beau gars bien bête, personnage attachant du roman qui n'aurait pas trouvé son existence sur la série. Cela aussi c'est des normes de fidélité intéressantes, qui respectent l'esprit du roman.
Pour finir, si la première saison était vraiment forte, les deux saisons suivantes, si elles sont excellentes, se mettent (inévitablement) à patiner un peu. La seconde se met à critiquer le fanatisme religieux dans deux sens : ceux qui veulent faire justice au nom de Dieu et ceux qui croient à des divinités païennes. Mais elle manque sa cible, la première étant ennuyeuse, la seconde amusante au mieux, ridicule au pire (encore une fois, tout ce qui concerne les vampires est excellent et maintient la qualité de la série). Quand à la troisième, elle est plus soutenue mais se barre un peu dans tous les sens : fées, loups-garous, métamorphes... Au final, elle ne traite que superficiellement ses sujets (là encore passionnants : l'abandon d'un enfant, la pauvreté extrême d'une communauté de marginaux) et finit par ennuyer. La série va-t-elle très vite tourner en rond ? Espérons, bien sûr, que non, car cet univers, aussi foisonnant et bancal qu'il soit, reste extrêmement fascinant. Il y a encore beaucoup à faire ! Attendons sagement la saison 4...