Il y a beaucoup à reprocher à cette froide série Netflix, sans fond véritable et sans âme. Riche de nombreuses images archives et de témoignages, le documentaire reconstitue parfaitement le déroulé de ce procès de la honte, avec ses rebondissements et la tension extrême qu'il a engendrée. Mais on attendait autre chose : un vrai point de vue, voire un parti pris affirmé, qui viendrait dédouaner définitivement les pauvres victimes de cette odieuse et grotesque calomnie judicaire et médiatique. On espérait un point de vue bien plus engagé qui mettrait davantage en cause les responsables (tous les responsables) de cette parodie de justice. Mais non, les réalisateurs se contentent de restituer les évènements, sans prise de position en faveur des victimes. On ne pouvait pas faire plus maladroit sur un tel sujet. Le film est conçu en présentant aussi bien les faits à charge que les faits à décharge.
Les faits à décharge sont uniquement présentés via les témoignages des (talentueux) avocats de la Défense mais la parole de ces derniers,n'est hélàs que « rapportée » dans le documentaire, comme si elle pouvait être sujet à caution voire contestable... Quant aux éléments à charge, ils sont bien trop nombreux pour être véritablement au service des innocents accusés à tort. Le documentaire laisse quelque peu planer le doute au travers les accusations réitérées de l'experte pédopsychiatre qui continue (honte à elle) de soutenir que les enfants n'ont pas pu mentir. Ou encore à travers les insinuations du juge Burgaud qui laisse entendre tout au long du film qu'il possédait des « preuves indiscutables » de la culpabilité des accusés. Ou encore au travers les témoignages des 3 juges des libertés et de la détention provisoire qui réitèrent encore aujourd'hui que les mis en cause étaient potentiellement dangereux. Ou encore celle du fils de Myriam Badaoui qui continue de diffamer publiquement, via la télé, les pauvres gens dont il a ruiné irrémédiablement la vie. La question se pose: tous ces accusateurs, dont les mensonges éhontés ou l'incompétence ont été mis à jour, ont-ils encore le droit à la parole? Leur laisser dire « leur vérité « durant 4 heures ne revient-il pas à rejouer, 20 ans après, ce lamentable procès? Et laisser de nouveau planer un doute malsain (soit-il infinitésimal) sur l'innocence des mis en cause? A défaut d'être maladroite, l'intention des réalisateurs risque d'être mal interprétée. Mais le documentaire pose encore question sur de nombreux autres aspects.
Quid de François Mourmand décédé en prison suite à sa dépression et aux négligences médicales ? Quid de la douleur de sa soeur, de sa famille ? La mort de ce pauvre homme (qualifié de « ferrailleur ») est expédiée en une petite phrase dans le documentaire, puis vite oubliée, comme si ce n'était un détail superfétatoire. On ne fait pas mieux en terme de déshumanisation. Quid de la critique des médias ? De l'emballement médiatique et de l'hystérie collective? Le documentaire passe sous silence le rôle de délétère de l'opinion publique, tellement avide de sensationnel, prête à lyncher n'importe qui sur la seule foi de la rumeur et sous l'influence pernicieuse des médias...
Quid tous les autres responsable de ce désastre humain ? Le documentaire se focalise presque uniquement sur le juge Burgaud, sa bêtise incommensurable, son égo démesuré (qui rappelle ceux du petit juge Lambert dans l'affaire Gregory). Mais si Burgaud a été le chef d'orchestre grotesque de cette machinerie insensée, il n'était pas seul. Les autres responsables ne sont jamais frontalement mis en cause dasn le docuementaire: ni le procureur de la République qui pouvait à tout moment le dessaisir, ni les juges de la détention provisoire, ni les 3 juges de la cours d'Assises, ni les 6 jurés décérébrés qui ont condamné 6 innocents sans aucune preuve. Un vrai travail de journaliste aurait démontré (et c'est là que le film aurait trouvé tout son intérêt) que la responsabilité de cette abominable erreur judiciaire était bel et bien collective.
Mais le summum de la malséance arrive à la toute fin.
Les toutes dernières images du film (et ce choix de montage n'est pas innocent) donnent la parole à Jonathan Badaoui, l'un des enfants martyr à l'origine de cet emballement médiatique et judicaire mortifère. Mais pourquoi lui donner le mot de la fin ?? Pourquoi cette mise en scène (lumière, décor solennel...), qui sacralise en quelque sorte sa parole
?
Pour un film qui fait répéter de nombreuses fois (par la bouches des avocats) à quel point la présomption d'innocence a été bafouée dans cette affaire, ces dernières minutes nous lassent dans un état de sidération absolu. [spoiler]Qu'ont dû ressentir les accusés d'Outreau en entendant ce jeune homme déclarer devant des millions de téléspectateurs que les accusés étaient coupables et n'auraient jamais dû être remis en liberté ?
Il y pire que de bafouer la présomption d'innocence. C'est de remettre en cause la chose jugée. On aurait dû rappeler aux réalisateurs et aux producteurs que les 13 accusés d'Outreau n'ont été pas été acquittés sur le bénéfice du doute. Ils ont été innocentés, lavés de toute accusation, de tous soupçon, en l'absence irréfutable de toute preuve, ce qui constitue une différence de taille et les absout définitivement des crimes dont ils ont été injustement chargés. [spoiler]Or la série risque d'instiller - par ce dernier témoignage - le doute dans l'esprit de certains télépectateurs. Mais le doute n'est plus de mise. Il est même tout bonnement impensable voire scandaleux, à l'heure d'aujourd'hui, de laisser supposer (comme le fait le documentaire, ne serait-ce que l'espace de quelques minutes de fin) que les malhuereux accusés ne sont peu être pas innocents.