Saison 1 :
"Breaking Bad" part exactement du même postulat de départ que "Weeds" (comment dans l'Amérique socialement injuste de nos jours, une personne "honnête" est acculée à avoir recours à des activités criminelles pour faire vivre sa famille), mais amène ses personnages - et du coup - ses spectateurs dans un territoire radicalement différent : plus psychologique (l'évolution en profondeur de Walter White est d'une grande finesse), mais aussi plus radicale (si les situations sont grosso modo les mêmes que dans "Weeds" - tension avec les dealers, peur de la police, conflits familiaux - le personnage n'est jamais épargné et doit toujours finir par passer par le pire). Il est indiscutable que regarder "Breaking Bad", avec cette tristesse amère qui semble suinter du personnage principale, et cette impression de gâchis généralisé qui se dégage de presque chaque épisode, n'est pas une expérience forcément plaisante... Pourtant, il est aussi évident qu'on assiste avec cette première - et courte - saison à la naissance d'une autre "grande série TV".
Saison 2 :
Il y a assurément un saut qualitatif entre la première et la seconde saison de "Breaking Bad" : alors que les premiers épisodes déclinaient de manière artificiellement autiste le programme du concept initial de la série (un professeur au dessus de tous reproches devient un méchant fabricant de drogues dures), on a droit ici à l'exploration de toutes les conséquences probables d'une telle décision. Comme dans "Weeds" - au sujet si semblable - on a droit à toutes les vicissitudes logiques auxquelles s'exposent des trafiquants amateurs, une fois passé l'euphorie des premiers dollars facilement gagnés : cette seconde saison s'apparente donc logiquement à un catalogue de situations sinon extrêmes, du moins douloureuses ou horriblement stressantes, et c'est peut-être là la seule limite d'une série indéniablement très puissante, cette absence d'humour, ou même d'un simple rai de lumière au sein de tant de noirceur. Sinon, il n'y a rien à dire : scénarios implacables, acteurs crédibles, narration au rythme parfait, refus de la moindre facilité pour engendrer ces cliffhangers si typiques de la Série TV, "Breaking Bad" se place dans le peloton de tête des meilleures créations récentes. Jusqu'à la "surprise" du dernier épisode, qui démontre jusqu'à l'absurde que chacun de nos actes - réfléchi ou non - peut avoir des conséquences incalculables.
Saison 3 :
La troisième saison de "Breaking Bad", peut-être la "dernière" grande série US, alors que la veine semble s'épuiser, en confirme la supériorité sur tous les fronts : scénario puissant, qui ne cède jamais à la facilité, et nous offre trois ou quatre épisodes vraiment sidérants avec des moments de pur génie, interprétation de premier plan (d'ailleurs il me semble que Bryan Cranson et Aaron Paul ont tous deux reçus des Emmy Awards pour cette saison) et surtout mise en scène ambitieuse, plus "cinématographique" que celle de 90% des séries TV, souvent faiblardes sur ce point. D'ailleurs, "Breaking Bad" est-elle réellement une série ? Pas de multiplication de personnages, pas de foisonnement d'intrigues, pas vraiment d'effet de "proximité" entre le téléspectateur et le monde rude, austère de la petite bourgeoisie d'Albuquerque... Non, on pense plutôt à un long film, avec une unité "sérieuse" de lieu, d'action et de personnages, mis en scène avec un brio - parfois un peu forcé, même - qui rappelle les Frères Coen de "Fargo" ou de "No Country For Old Men" : comme dans un "vrai film" il est passionnant de voir l'évolution bien construite des personnages, Walt perdant peu à peu son humanité pour révéler le monstre froid et calculateur qui en lui, et Jesse s'affirmant - enfin - comme un adulte plutôt que comme un môme maladroit et irresponsable. Soulignons l'une des grandes forces de cette troisième saison : le remarquable personnage de "méchant" qu'est Gus, superbement incarné par un Giancarlo Esposito tout simplement parfait... et déplorons l'inepte épisode "artificiel" ("Fly") ajouté en guise de remplissage, qui tranche terriblement avec la qualité générale de cette saison.
Saison 4 :
Qu'est ce qui fait la brillante excellence de "Breaking Bad", qui touche avec sa quatrième saison à une sorte de perfection dont bien des films de "vrai" cinéma peuvent être jaloux ? La qualité d'une écriture qui ne prend jamais - comme tant d'autres séries qui ne jouent que sur notre addiction - la spectateur pour un gogo à qui on fait tout avaler ? L'excellence d'une interprétation qui permet à ses personnages d'une ambiguïté totale d'évoluer de manière totalement crédible sur la distance ? Une mise en scène parfaitement classique mais capable de ces petites trouvailles qui tranchent avec le tout venant ? Tout celà sans doute, mais aussi le pouvoir de fascination toujours accru qu'une histoire qui, avec le "dépucelage criminel" de ses "héros" qui ont désormais clairement franchi le pas de l'immoralité, s'aventure désormais sur le terrain pourtant plus balisé du thriller, du film de gangsters classique. C'est peut-être grâce à la puissance de personnages exceptionnels, tel Gus, génie du mal fascinant, magistralement incarné par Giancarlo Esposito dans le rôle de sa vie, qui aura droit à une ultime apparition hallucinante, que "Breaking Bad" nous marque comme peu d'oeuvres télévisuelles l'ont fait auparavant. Soulignons que la seconde moitié de la saison est une parfaite machine infernale qui explose littéralement dans un dernier épisode génial, avant un dernier plan aussi renversant que glaçant. Chef d'oeuvre !
Saison 5 - 1 :
La cinquième saison de "Breaking Bad", ou plutôt la demi saison, puisque nous n'avons droit qu'à huit épisodes, se terminant par un excellent cliffhanger mais ne bouclant pas le nouveau fil narratif mystérieusement ouvert par la vision d'un Walter White chevelu et décati dans le premier épisode, est un exemple d'intelligence et de subtilité. Ce n'est sans doute pas la plus excitante ni la plus jouissive de la série, le ton en étant définitivement plus tendu, plus sombre, moins humoristique pour accompagner la dernière étape de la mutation de Walter en un criminel sans remords, aveuglé par son nouveau pouvoir. Mais la manière dont Cranston interprète son personnage manipulant désormais sans vergogne même les personnes qui lui sont chères, la rigueur de la construction scénaristique qui s'apparente par instants à la tragédie classique (aucun autre destin possible que le drame) et l'inventivité d'une mise en scène toujours très cinématographique classent définitivement "Breaking Bad" parmi les grandes, les très grandes réussites de la série TV moderne. L'attachement que l'on ressent envers certains personnages - Saul, Mike -, merveilleusement incarnés dans toute leur complexité est alors la cerise sur le gâteau d'une série extraordinairement stimulante.
Saison 5 - 2 :
On avait peur, bien sûr, que Vince Gilligan nous foire son chef d'oeuvre dans la toute dernière ligne droite : ce Breaking Bad qu'on a tellement aimé depuis 5 ans, pour son scénario fin, complexe et particulièrement bien articulé, ses interprètes mémorables, sa réalisation bien au dessus des standards de la série TV, etc. etc. ne pouvait pas, ne devait pas nous laisser avec un mauvais goût dans la bouche comme tant d'autres séries... Eh bien, non, pas de souci, comme dans The Shield, autre série impeccablement conclue, la fin est magnifique... mais aussi parfaitement logique, cohérente avec les cinq ans qui ont précédé, marquant la conclusion inéluctable de la trajectoire diabolique de Walter White de loser touchant à monstre d'hypocrisie et de manipulation. Si l'abandon de sa carrière de gros bonnet de la drogue par Walter White menace au tout début de cette dernière saison de faire que notre "héros" retourne à la case départ, il n'en est heureusement rien : aucune action des saisons précédentes ne restera sans conséquence... désastreuse évidemment, ce qui en soit pourrait constituer une sorte de morale, sauf que, bien sûr, Breaking Bad n'a jamais été affaire de morale, seulement de cheminement aveugle au bord du gouffre. On sort de là satisfait, mais aussi profondément déboussolé : le pire s'est accompli, certes, mais le pire pour nous, c'est peut être bien de ne plus attendre de nouvelle saison de Breaking Bad !