(Dithyrambique [adj.] se dit de quelqu'un volontiers excessif, empathique et pompeux dans ses éloges)
S'il y a bien une oeuvre excellente à tel point que j'en suis jaloux, alors c'est bien "Breaking Bad". Tout est là, tout y est parfaitement à sa place, et tout est si bon que c'en est insolent (faudra vous habituer aux superlatifs parce que c'est pas fini). C'est simplement grâce à ça que la série reste gravée dans la tête une fois un épisode terminé: on peut s'amuser à chercher des similitudes et des parallèles entre l'épisode 1 et l'épisode 52 (foreshadowing partout tout le temps!!!), à analyser les concordances entre l'intrigue et le thème ou même à décrypter chaque élément de ce monument parce que dans "Breaking Bad", TOUT a un sens des noms des épisodes à ceux des personnages (it's all good, man...m'enfin ça c'est juste une théorie) et TOUT à partir de l'épisode 1 est calculé pour amener à la suite, puis à la fin. Et quelle fin ! Contrairement à la majorité des séries où il ne se passe généralement pas grand-chose pendant 45 minutes et d'un coup cliffhanger de ouf et chacun crie au génie, l'intrigue de BrBa reste active chaque instant. Qui plus est aucune série ne peut se targuer d'avoir des personnages principaux ou secondaires aussi travaillés et attachants que BrBa. Walt, Jesse, Hank, Gus, Mike ou Junior, les personnages révèlent leur profondeur au fur et à mesure que l'intrigue progresse, et c'est un véritable pincement au cœur de les quitter. D'autant plus qu'ils sont tous campés par des acteurs extrêmement talentueux offrant nombre de prestations inoubliables. J'en veut pour preuve cette prestation dans l'épisode "Crawl Space", lorsque Walter (interprété par un Bryan Cranston impressionnant d'implication dans son rôle) laisse éclater sa rage avant d'être pris d'un rire hystérique. Celui qui a vu comprendra mais à mon sens, aucun autre acteur si talentueux soit-il n'aurait pu si bien jouer cette scène. L'impact sur le spectateur n'en est que plus grand: j'ai beau avoir vu pas mal de films, jamais je ne m'était autant investi émotionnellement dans une histoire. L'évolution de Walt, par exemple, s'opère aussi bien à l'écran qu'en dehors. Au début de l'intrigue Walt inspire vraiment la pitié, au fil du temps les réactions évoluent: il suscite le respect en devenant quelqu'un, même en étant conscient qu'il est une ordure ses motivations restent très louables. Et petit à petit Heisenberg prend le dessus jusqu'à devenir le véritable bad guy de la série, de telle sorte que durant la saison 5 je me suis moi-même surpris à serrer très fort le poing devant mon écran, lorsque celui-ci devient véritablement une pourriture. Mine de rien c'est très fort pour moi qui ne suis pas si émotif devant un écran, ici la fin m'a même fait verser une larme, exploit qu'aucun film n'a encore accompli. Ajoutez à cela la sensation toute particulière de connaître les personnages mieux qu'eux-mêmes, après les avoir vu pendant deux ans évoluer, souffrir, grandir, faire des erreurs et en apprendre, à ce niveau je dirais que c'est même propre à la série. Définitivement s'il y en a un devant qui tout le monde ferme sa gueule quand il s'agit de développer des personnages c'est bien cette série. Et c'est parce que malgré sa réalisation très cinématographique très inspirée des westerns (qui va de paire avec la formidable OST), Gilligan a compris ce qui rendait une telle chose quasi impossible au cinéma: dans une série, on est libre de prendre son temps. Et celle-ci ne s'en gêne pas, ils ont été pousser le vice jusqu'à dédier un épisode entier à la chasse d'une mouche ! Un épisode absolument délicieux, d'ailleurs, et qui détermine vraiment qui aime ou pas la série. Mais malgré cela "Breaking Bad" ne parait jamais long, encore moins redondant et jamais ô grand jamais en panne d'inspiration, chose dont peu de séries peuvent se vanter (bon j'avoue pour le coup c'est du pur fanboyisme, certains aspects sont un peu rushés comme
Skyler White qui a simplement l'intuition que son mari vend de la drogue, mouais...ou bien la cleptomanie de Marie qui ne dit pas grand-chose. Ou même la façon dont Jesse comprend soudainement tout pour Brock et la ricine, mais c'est vraiment une goutte d'eau dans un océan
). Au final l'histoire dans son idée de base (vraiment très schématisée) n'a rien d'exceptionnelle, c'est le sempiternel scénario que Scorsese affectionne tout particulièrement: L'histoire du type qui réussit dans un milieu criminel, et qui finira par chuter du fait de sa réussite. "Breaking Bad" c'est simplement le squelette de "Scarface", des "Affranchis" ou du "Loup de Wall Street" dans un contexte différent et sur une durée élargie et ça, Vince Gilligan ne se l'est jamais caché. Mais c'est traité ici d'un point de vue si humain, chose que personne n'avait encore fait, que l'on oublie ça volontiers, surtout quand on admet que le cinéma n'a jamais rien inventé. Et je ne peux rêver mieux, moi que les histoires de gangsters et autres mafieux saoulent excepté lorsque l'accent est mis sur l'aspect humain. Et puisque je n'arrive à le placer nulle part ailleurs je termine de balancer tout ce qui me fascine dans cette série comme si j'écrivais un blog: j'adore la façon dont cette série trouve de la poésie dans la science, en dressant constamment des parallèles entre les règles de base de la chimie et les événements du scénario ou la psychologie des personnages. J'adore que la série parle de drogue sans être moralisatrice pour autant, cherchant à nous faire comprendre comment les gens en viennent à se droguer et le réconfort qu'ils y trouvent plutôt que de pointer du doigt les drogués style "la drogue c'est mal m'voyez", dénonçant non pas la prise de drogue en elle-même mais tout le marché qui l'entoure. Enfin, la série en dit à mon sens bien plus sur ce qu'est être un homme que n'importe quel film de mafieux, genre construit autour de cette question mais seule une série est suffisamment longue pour creuser la question en profondeur, le résultat est une leçon de vie, une vraie.
Une série si minutieusement réfléchie aussi bien en terme d'efficacité qu'en terme de sens, ça ne se refuse pas. Et le public le lui rend bien: "Breaking Bad" a su en quelques années transcender sont statut de divertissement pour bâtir par le biais de ses fans une véritable mythologie vis-à-vis de ses personnages et de ses thématiques fortes. Un mot pour la fin: All Hail the King, et par là j'entends, Walter White, Bryan Cranston, "Breaking Bad", Vince Gilligan.