Archives souvent inédites et témoins de premier plan racontent en trois volets denses et précis l'histoire trop longtemps ignorée d'un djihadisme européen toujours à l'œuvre.
Née dans les années 1980 à la faveur de la guerre contre l'occupation soviétique en Afghanistan, l'idéologie djihadiste a étendu en quatre décennies son influence totalitaire et son empreinte sanglante à tous les continents. Mentor d'Oussama ben Laden, le Palestinien Abdallah Azzam en élabore la théorie à Peshawar, au Pakistan, et y recrute des combattants étrangers dès 1984. En 1989, alors que l'Occident célèbre la fin d'une guerre froide qu'il pense avoir gagnée, ces quelques milliers d'''Arabes afghans" vont allumer les braises de nouvelles guerres, selon des méthodes qui ne seront comprises qu'après le 11 septembre 2001. Certains d'entre eux vont combattre au côté des islamistes algériens contre leur gouvernement, ou des Musulmans de Bosnie en butte aux exactions des forces serbes. D'autres trouvent asile à Londres où, au long de la décennie 1990, ils créent en toute quiétude un écosystème djihadiste qui sera baptisé "Londonistan". Des dynamiques semblables s'enclenchent au Danemark et en Belgique. Les premiers attentats suscités par cet activisme encore sous les radars ont lieu aux États-Unis (World Trade Center, 1993) et en France (Paris, 1995), mais ne permettent pas de prendre conscience du phénomène. Le 11 septembre 2001, Al-Qaïda, qui a utilisé ses relais en Europe pour organiser les attentats les plus meurtriers de l'histoire à ce jour (2 977 morts), émerge comme un acteur global en sidérant le monde entier.
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Après le 11-Septembre, des filières terroristes sont démantelées, mais du "Londonistan" à La Haye en passant par Toulouse, Bruxelles, Ulm ou Copenhague, de nouveaux activistes locaux œuvrent sans être inquiétés à la propagation des mots d'ordre djihadistes. Après la défaite des talibans en Afghanistan, l'invasion de l'Irak, en 2003, ouvre un nouveau cycle. S'y développent d’inédites théories du djihad, dans lesquelles l'Europe constitue le "ventre mou" d'un Occident qu'il faut mettre à genoux. Assassinat de Théo Van Gogh et attentats de Madrid (2004), puis de Londres (2005), affaire des caricatures danoises… : une série de déflagrations secoue les sociétés européennes. En France, en 2012, l'équipée meurtrière de Mohamed Merah, interprétée à tort comme la dérive d'un "loup solitaire", résulte en réalité de réseaux qui ont commencé à se mettre en place une dizaine d'années plus tôt dans le Sud-Ouest. En parallèle, une guerre de plus en plus dévastatrice succède en Syrie à l'éphémère "printemps arabe". Le pays devient un nouveau théâtre du djihad global et européen.
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En 2014, Daech, issu d'une rupture avec Al-Qaida, émerge du chaos syrien et son chef Abou Bakr al-Baghdadi proclame un "califat" que rejoignent quelque 6 000 Européens, militants des "réseaux de la charia" en Europe (Sharia4UK, Sharia4Holland, Sharia4Belgium, Militu Ibrahim en Allemagne, Kaldet til Islam au Danemark et Forsane al-Izza en France). Ils révèlent une géographie militante qui se met souterrainement en place depuis deux décennies. La massification des rangs djihadistes s'accompagne d'une diversification des profils : désormais, les femmes jouent également un rôle. Après une vague terroriste sans précédent sur le continent (attentats de Paris en janvier et novembre 2015, puis Bruxelles et Berlin l'année suivante...), la coalition militaire occidentale, alliée aux forces kurdes, provoque l'effondrement de Daech. Mais l'affaire des caricatures resurgit en France à la suite de l'assassinat du professeur Samuel Paty, en 2020, et de nouveaux enjeux émergent avec la question du rapatriement des hommes, femmes et enfants enrôlés sous la bannière de l'État islamique. Dans un climat de tension politique grandissant dans tous les pays concernés, le djihadisme européen est-il en passe de se configurer à nouveau ?