Et voilà que se poursuit la chronique ultime de l’homme qui n’est personne, Don Draper, tête d’affiche d’une très réussie reconstitution du Working Progress des années 60. Voilà déjà deux ans que la série de Matthew Weiner illumine quelques soirées par semaines pour les abonnés AMC, nous plongeant sans préavis dans les années folles new-yorkaises, en plein cœur d’une entreprise publicitaire toujours à la recherche d’extension, à défaut ici d’indépendance. Cette troisième saison, outre les multiples remue-ménages conjugaux de notre ami Don, fait le part belle au marché d’entreprise dans ce qu’il a de plus cruel. La Sterling Cooper passe ici en mains étrangère, le profit primant dès lors sur la qualité. Mais lorsque la maison mère est elle aussi mise en vente, n’est-il pas temps pour les actionnaires de la boîte new-yorkaise de voler de leurs propres ailes? Sur ce fond strictement professionnel, accessoirement passionnant, l’évolution des personnages principaux, dont bien entendu Don Draper, se fait pas-à-pas, assez péniblement pour tout dire.
Si le final de cette troisième saison ouvre de belles perspectives pour l’avenir de la série, le chemin, du premier au treizième épisode, fût pour le moins inégal. Parfaitement maîtrisé sur le plan de l’entreprise, centre de gravité de la série, cette troisième saison l’est moins pour ce qui est du développement des personnages. Malgré quelques grandes révélations, malgré un couple qui se délite sous nos yeux, on s’en serait douté, la rigueur narrative de la saison précédente n’est plus. Ayant sans doute peiné à définir une ligne de partage stricte entre la vie professionnelle et privée de ses protagonistes, Matthew Weiner semble avoir omis quelques approfondissements, semble avoir sauté un peu brusquement sur les révélations essentielles de Don à sa femme, sur son passé, sur sa personne. Nous revenons, au final, sur le Sterling Cooper, personnage moral principal de cette troisième saison, la clé de tous les enjeux, semble-t-il. Le professionnel prend donc le pas sur le privé.
Si cela n’est pas en soi une moins-value, un brin d’humanité n’aurait pas été de trop durant cette saison. On notera que les treize épisodes sont ici aussi rythmés par l’actualité de l’année 1963, des suppositions d’engagements au Vietnam à l’assassinat de Kennedy, fait tragique au centre de l’épisode n°12, intitulé Les grands. Un épisode par ailleurs très particulier puisque morose, pas particulièrement maîtrisé à mon sens du fait d’une difficile intégration de la tragédie américaine dans la petite histoire qui nous intéresse. Mieux réussi, en revanche, le dernier épisode, nettement au-dessus-du lot, qui voit les associés de toujours prendre le large, entraînant dans leurs course les fleurons de l’entreprise, Pete et Peggy en tête. Cela donnera lieu à l’éclatement d’un certain nombre de vérités, moments toujours poignants dans Mad Men.
Difficile dès lors de dire que cette troisième saison n’est pas aussi bonne que la précédente, pour autant, l’appréciation générale tend vers cela. Qu’importe, la qualité est toujours bel et bien présente, qu’importe vers quoi se dirigent les scénaristes. On regrette quelques manquements, la facilité avec laquelle se confesse Don, après tout ce temps, ou encore la relation adultère de Betty, mais saluons aussi de toute belles séquences parfois comiques, parfois tragiques, la tondeuse et le gentleman anglais, la concertation des actionnaires concernant leurs avenirs à tous, la mise en compétition entre Pete et Ken au même poste, … De belles surprises nous attendent ici, et les acteurs sont tous et toujours impeccables. 16/20