Si Henry Chinaski avait un fils, il l'aurait sans doute appelé Hank Moody. Et l'aurait vite renié d'ailleurs, tant Moody, en dépit de sa "bukowskivité", aurait contrasté dans l'oeuvre de l'auteur de Factotum. Moody est alcoolique, autodestructeur, pervers, génial, iconoclaste, misérable et magnifique, mais Moody est riche. Il a une belle ex-femme, une fille introvertie, un meilleur ami encore plus pervers, une grosse baraque, une belle voiture, et il vit en Californie. Bref, tout ce qu'aurait détesté Chinaski.
Si parenté littéraire il fallait trouver, on pourrait peut-être plus lorgner du côté du Brat Pack américain des Bret Easton Ellis ou Jay McInerney, par leur thématique de l'hédonisme nihiliste, qui semble le credo par excellence de Moody. Buvons, bouffons, baisons, notre vie ne vaut pas mieux que ça. Avec vingt ans de moins, Moody aurait traîné avec les ados de Moins que Zéro. C'est un Peter Pan, Moody, il ne veut pas vieillir, c'est sans doute pour ça qu'il est écrivain, d'ailleurs. Il est une icône régressive, et ne s'entend d'ailleurs jamais aussi bien qu'avec d'autres icônes régressives (Lew Ashby en est le meilleur exemple). Dès que les gens se mettent à grandir plus vite que lui, il dérape, il patine, perd le contrôle.
La thématique est vieille comme le monde, mais marche toujours aussi bien. Que Moody soit l'exutoire de David Duchovny apparait presque comme secondaire, même si on ne peut s'empêcher, sans doute à raison, de faire le lien entre l'incurable soif de sexe de Moody et de l'acteur qui l'incarne. Etant passé complètement à côté de la déferlante X-Files, Californication fut personnellement la vraie révélation de Duchovny, cabotin farceur à l'entêtement juvénile. Oui Duchovny est peut-être Moody, mais surtout, Moody est Duchovny, on ne voit personne d'autre à sa place.
Personnage d'une profondeur sans doute intarissable, Moody se paie même le luxe d'être tout le temps passionnant, que ce soit dans ce jeu du chat et de la souris avec son ex-femme très distinguée, dans sa relation touchante et elle aussi toujours sur le fil avec sa fille, ou encore dans cette relation Jedi/Padawan qui le lie avec son meilleur ami Runkle (sans doute l'un des seconds rôles les plus désopilants de la décennie), seul ilôt de stabilité dans la vie mouvementée de Moody. Là où les femmes apparaissent toujours comme génératrices de péripéties, incarnent la passion dans ses bons et ses mauvais côtés, les amis, eux, restent toujours. C'est comme ça quand on a 20 ans...
Interprétation impeccable, richesse scénaristique inépuisable, dialogues savoureux, Californication est plus qu'une série qui se plaît à bomber le torse et à sortir les balconnets pigeonnants, c'est avant tout une série aussi géniale que son héros. Car même s'il a une vie de merde, on aimerait tous quelque part être Hank Moody à un moment ou un autre. Pour avoir l'assurance de ne pas vieillir...