De prime abord, le sujet peut paraître peu motivant avec un côté hommage aux disparus des attentats avec attente de pathos obligatoire. Rien de cela, la série surprend par l'absence d'intrigue typique : pour la première fois peut-être, l'agent de police n'enquête sur aucun délit ni crime... mais elle est chargée du lien, du contact avec les victimes - elle-même étant une victime qui s'ignore. En soi une performance, ce rôle de la police étant bien souvent passé sous silence, minimisé et non reconnu. C'est la nécessité et l'importance primordiale de cette fonction que le personnage de Samira va venir à comprendre elle-même, à défendre et imposer tant à ses proches qu'à ses collègues. L'attention portée à l'équilibre de l'intériorité humaine, et le respect soudain de son attachement puéril à de vieux objets abîmés, relève du paradoxe dans le monde de la surconsommation, de la vitesse, du remplacement, de l'aller de l'avant, de l'importance du paraître... Or, il ne s'agit pas nullement de la gestion spécifique d'un traumatisme extraordinaire, mais de le prise de conscience d'une inadéquation entre priorités humaines et la civilisation telle qu'elle fonctionne.
La tragédie, à la manière du procès dans La maison de la rue en pente, a une résonance sur elle-même en tant que femme et en tant que mère, provoquant un malaise existentiel autour de son aptitude à engendrer la vie dans une civilisation inquiétante. La série prend une épaisseur féministe. Le visage omniprésent du personnage de Samira, dégageant générosité et opiniâtreté, représenterait bien un nouvel idéal de femme libérée de la contrainte imposée par l'homme (qui a ici des fonctions habituellement réservées à la représentation de la femme : toujours au foyer, s'intéressant à la déco de la chambre, travaille dans l'éducation...), impliquée dans son travail jusqu'à en réorienter les buts, mais conservant ou réorientant ses qualités dites "maternelles" (contrairement au cliché de la femme cheffe d'entreprise devenant dragonne virile). Les conséquences de la fausse couche sur son bien-être est un symbole de la nécessité de prise en compte de l'humain dans son entièreté, du fœtus des premiers mois (voire même du projet) aux soins apportés au mort, en passant par les objets sur lesquels les humains ont investi leur affectivité.
https://leluronum.art.blog/2023/05/06/tombee-du-canap-lost-luggage/