Alors que les vacances d'été touchent à leu fin, laissant place à un temps de plus en plus maussade et déprimant, "The White Lotus", mini-série écrite et réalisée par Mike White pour HBO, permet de prolonger pendant six épisodes de cinquante minutes le doux parfum des chaudes soirées estivales. Cette création originale revient sur la semaine de détente d'une poignée de touristes riches comme Crésus dans un hôtel de luxe hawaïen. Face à eux, les employés du complexe, loin d'être aussi privilégiés que leurs clients, sont au petit soin pour leur faire passer le meilleur séjour possible. Mais sous les tropiques, hors du temps et loin des contraintes du quotidien, sont-ils tous à l'ombre d'une tragédie irrémédiable ?
"The White Lotus" s'ouvre sur un flash-forward qui montre d'emblée que cette parenthèse paradisiaque ne va pas s'achever sous les meilleurs auspices. Notre curiosité est piquée et le ton est donné. Il est tragi-comique, surtout satirique. Le truc, c'est qu'il ne se passe pas grand chose dans ce "murder mystery", du moins c'est l'impression qu'on a. L'action et les rebondissements sont rares tandis que les joutes verbales pleines de non-dits, de crises existentielles, de dialogues de sourds et de quiproquos prennent toute la place. Très vite, les décors de suites immenses, du restaurant aux plats gastronomiques, des piscines turquoises et des plages somptueuses deviennent le théâtre d'une critique sociale grinçante où des résidents (tous plus blancs, excentriques et riches les uns que les autres) n'ont pas le même sens des priorités ni le même rapport aux choses que le commun des mortels. Le moindre imprévu riquiqui se transforme en problème colossal, comme si ce confort luxueux, qui en sauverait plus d'un du burn-out, les laissait totalement indifférent... C'est risible car le scénario réussit parfaitement à souligner la superficialité de ces personnages ainsi que le décalage qui se creuse d'épisode en épisode avec le staff, plus modeste et qui doit faire face à toutes leurs exigences.
Ce cadre idyllique permet d'explorer les limites et les parts d'ombre de ces personnages superbement bien écrits. Tous, toutes catégories confondues, paraissent sur la brèche, comme froissés, fissurés à un endroit, au bord de l'implosion... C'est alors qu'ils se rencontrent dans leurs tourments, se déchirent, se détestent, se crachent à la gueule... pour notre plus grand plaisir ! Entre un couple en lune de miel, une famille désunie au possible et une cinquantenaire endeuillée venue disperser les cendres de sa mère dans l’océan, on a de quoi observer diverses manières d’exploser en vol ! Ajoutez un manager un brin lèche-cul et revanchard, une directrice de spa en quête de renouveau et une employée qui dissimule sa grossesse, et vous avez matière à distordre l’essence même du mot « vacances ». Le casting est sans doute l’atout numéro un de « The White Lotus » car tous les acteurs parviennent à véhiculer cette ambiguité à la fois géniale et gênante propre à la série. Je mettrai ma main à couper qu’on en verra plus d’un figurer aux prochains Golden Globes et Emmy Awards. Je me vois obligé de mentionner Alexandra Daddario, très étonannte dans ce rôle, Jake Lacy en conn*** fini, Connie Britton en mère carriériste, Steve Zahn en pleine crise de la cinquantaine ou encore Natasha Rothwell, étrangement normal dans cette masse de fous. Mais mon coup de coeur se porte sans hésiter sur l’excellente Jennifer Coolidge, à mourir de rire dans chacune de ses apparitions, et Murray Bartlett, en gérant au bord de la crise de nerf…
Ensuite, la série est également mémorable grâce à la superbe composition musicale de Cristobal Tapia De Veer, qui tord dans tous les sens des airs exotiques pour renforcer le malaise. Cette signature sonore est impressionnante et se marie parfaitement à une photographie très chaude, à un générique atypique, ces crises existentielles qui fusent de partout ainsi que ce mystère qui plane jusqu’à la fin. D’ailleurs, en parlant de ça, j’ai trouvé la résolution décevante et vite expédiée. Vu que le ton est réaliste, plus de cohérence aurait été bienvenue. Et de façon générale, bien qu’il s’agisse d’une peinture de l’élite blanche à tout âge, j’aurai apprécié plus de twists et de remises en questions de la part de certains personnages. Mais bon, « The White Lotus » reste une très bonne surprise, maligne et dramatique, dérangeante et jouissive, qui réussit à dresser un constat terrible en explorant les dynamiques de pourris-gâtés dans la société actuelle.