Une superbe fiction, mais un récit sans histoire.
J'ai pris mon pied en regardant cette série. Pour les prouesses techniques, pour les touches d'humour bien placées (épisodes 3 et 8), parce que le choix des situations est très pertinent (il ne manque quasiment que le cadre urbain et les réactions de l'armée). Parce que les superbes scénarios rappellent que nous sommes capables du pire comme du meilleur. La chute du dernier épisode chronologique (c’est-à-dire le 7) est juste sublime.
Par contre, quand j'ai compris que les réalisateurs estimaient ne pas avoir fait une très belle pièce cinématographique mais un travail d'information... là j'ai déchanté direct.
« Ce n’est pas une dystopie, qui produit une distanciation. C’est quasiment un documentaire, dans un monde qui ressemble en tout point au nôtre pour que les spectateurs se projettent et sortent du déni. » (les producteurs)
« Prévoir l’effondrement, ce n’est pas être pessimiste, c’est voir les choses telles qu’elles sont. » (un des réalisateurs)
Le déni de quoi exactement ? Ce fameux "effondrement généralisé" (au singulier, donc) n'est jamais défini, son processus encore moins décris, il est tout simplement mis sous le tapis. Dans ce récit, d'où vient la pénurie d'énergie et, donc, d'approvisionnement des supermarchés/pompes à essence/services publics/systèmes de paiement/... ? Embargo ? Solidarité internationale anti-extractiviste ? Mythe d'une grève sans fin qui bloquerait pour le plaisir de bloquer et ne re-démarrerait rien ? Fantasme de la fin subite et définitive des énergies fossiles ? On a seulement droit à un avant/après "événement" global, derrière lequel tout le monde peut imaginer ce qu'il veut. C'est pratique, mais ce n'est pas du tout la même chose que décrire la "réalité".
Les réalisateurs peuvent nuancer dans des interviews - qu'une partie très minoritaire de l'audimat lira ou écoutera - en expliquant, à raison, que les "effondrements" (ou "délitements") seront espacés dans le temps et qu'ils ont déjà commencé. Le fait est que ce n'est pas le récit qu'ils vendent, or cette différence de diagnostic change tout en termes d'imaginaires et de réponses données à la situation.
Puisque leur "effondrement" est une situation de survie imminente, nous sommes réduit·e·s d'un seul coup à une somme de psychologies individuelles. Exit les ensembles qui produisent les situations, exit les contextes, en somme la politique (comme de se battre, ou perdre, collectivement pour l'approvisionnement prioritaire des hôpitaux).
Leur surenchère de l'angoisse en devient tout de suite moins appréciable (c'est vendeur, certes, mais ce n'est pas une excuse). Une des scènes les plus risibles à ce titre, si on part du principe qu'elles sont censées être du registre "réaliste", est la fin du première épisode.
Le vol en supermarché des jeunes est présenté comme le casse du siècle, aussi stressant qu'une prise d'otages, et - surtout - leur copain resté derrière semble prisonnier pour toujours de l'enfer citadin dont il n'avait qu'une seule occasion de fuir, celle qui vient de lui passer sous le nez.
Histoire de préciser, ce n'est pas les scènes de violence ou les drames (épisode 2) qui me semblent irréalistes, mais l'absence d'histoire (jour J). Les réalisateurs disent qu'il serait intéressant de pouvoir produire des épisodes sur "l'après-chaos", une sorte de retour du "civilisé", ils nourrissent ainsi le mythe millénariste d'une renaissance post-effondrement alors que l'histoire n'est pas cyclique. C'est le maintenant et sa suite qui seraient intéressants de décrire, d'arrêter avec les mythes.
Bref, un énorme plaisir à regarder, mais gâché lorsqu'on comprend qu'il vient alimenter ce grand "récit commun" imprécis et indéfini de l'effondrement généralisé, censé mobilier les foules. Une belle illustration de ce que le récit imprécis de "l'effondrement systémique" peut produire comme imaginaires.