La plus grande réussite de la mini-série Unorthodox, c’est de penser l’opposition entre Williamsburg et Berlin comme une opposition atmosphérique : le microcosme juif enferme la jeune Esther dans un huis clos où elle étouffe et où les pâtisseries qui jonchent la table enrobent de mauvais sucre une austérité dégradante ; la capitale allemande apparaît aussitôt comme le lieu d’un décloisonnement, une ouverture du champ de perception avec ses places, ses squares, ses parcs verdoyants. L’architecture de Williamsburg est verticale, elle construit des tours d’immeubles à perte de vue où végètent des couples englués dans une routine protocolaire ; celle de Berlin, au contraire, privilégie l’horizontalité, en témoignent les longues marches d’Esther qui suit sa boussole, avance droit devant elle. L’appartement de la mère est formé de pièces ouvertes, celui de la belle-mère dispose de vitres derrière lesquelles se retirent les femmes pour discuter bébés. Sous ce jeu architectural se cachent deux rapports au monde et à la vie : celui dicté par les textes sacrés et la lecture aveugle qu’en font les anciens (gardiens de la tradition), celui qui s’harmonise avec les désirs et les passions de chacun. Néanmoins, la série a l’intelligence de nuancer cette dichotomie par la représentation d’un milieu – une élite de jeunes musiciens prodiges – parfois proche du fanatisme : Yael parle d’oreille absolue, de don que l’on a à la naissance, ou pas ; ce faisant, elle exclut d’office l’étrangère sans s’ouvrir à elle, sonder son intériorité, percevoir que le piano ne constitue pas le seul instrument à sa disposition. La communauté étudiante est une communauté choisie, formée par recrutement et liée par l’amitié sincère, là où la communauté juive est une communauté imposée par la naissance, et où les sentiments, où les désirs occupent une place amoindrie. Si certains éléments narratifs peinent à être crédibles, en dépit de leur authenticité probable – l’arme à feu, la maison de prostitution sont mal amenées dans le récit –, il n’en demeure pas moins qu’Unorthodox est une œuvre brûlante et juste qui prend le parti de l’humain contre l’emprise sectaire déshumanisante. La série s’entoure d’excellents acteurs, mention spéciale à la jeune Shira Haas, et parvient à nous immerger dans un milieu trop méconnu aujourd’hui – sur un sujet similaire, voir l’excellent Désobéissance –, traité avec suffisamment de rigueur et de froideur pour donner à l’ensemble des airs (involontaires) de thriller paranoïaque voire de cauchemar éveillé qui continuera de nous hanter pendant longtemps.