Les Espagnols ont décidément beaucoup à apprendre aux Français. Outre leur sens inné de la fête, de la justice, de la tolérance et de la poésie, voilà maintenant qu'ils nous infligent une fessée monumentale en matière de création de séries de qualité. Pendant que nous autres, petits coqs imbus de nous-mêmes, devons supporter sans nous suicider les sombres délires bobos d'insupportables acteurs de pacotilles dans 10 pour cent ou faire semblant d'hurler de rire devant Fais pas ci, fais pas ça ou Capitaine Marleau en nous gargarisant d'avoir un soi disant bon goût qui est mort a minima depuis l'élection de Sarkozy en 2007, les Espagnols conquièrent le monde avec leur influence artistique et cinématographique, se bâtissant un nouveau soft power que nous tentons de sauver le mieux possible à grand renfort de vins et d'une littérature du siècle dernier, qui, Dieu merci, a été tellement prolixe qu'elle fait encore un peu illusion. Alors, si certains esprits chagrins estiment que Plus Belle La Vie ou Le Baron Noir sont de bonnes séries, que nos acteurs aux tons monocordes et faisant pleurer de rire le monde entier par leur médiocrité d'acting n'ont rien à envier à ceux de nos voisins, que nos caprices de bourgeoises divorcées sous anxiolytiques et nos éternelles séries policières des régions version Liddle qui font pleurer nos aïeuls dans les EHPAD valent réellement quelque chose, j'ose leur suggérer d'aller se faire embastiller dans une cellule, dans laquelle Julie Lescaut leur sera diffusé en boucle pendant un mois. S'ils n'en sortent pas avec la cervelle aussi molle qu'un vieux Kinder Surprise en plein temps de canicule, je veux encore bien me couper le scrotum avec une aiguille imbibée d'eau de mer. Non, l'Espagne accouche de bonnes séries, pas toujours raffinées, mais dont la jeune vigueur est impressionnante. Ici, Carlos Montero impressionne avec une série très bien amenée, simple et captivante, aux nombreux niveaux de lectures.
Ainsi, le spectateur suit le chemin parallèle de deux enseignantes marquées par la vie occupant le même poste dans la campagne espagnole à quelques semaines d'intervalle. La première, décédée, semble occuper tous les esprits tandis que la deuxième, moins décédée, car vivante, retrace le chemin de la première, tout fait de zones d'ombres, de compromissions, d'immoralités et de tragédies. Derrière un thriller traditionnel, reprenant les thèmes classiques de la passion dévorante entre un élève et sa professeure, du meurtre maquillé en suicide et du réseau crypto-malfaisant, se cache une véritable réflexion sur la résilience. Peut-on oublier notre passé, nos fantômes et nos traumatismes? Peut-on réellement vivre sans notre ancien nous-même ? Est-il possible de s'abstraire de ce que le passé a fait de nous? Dans ce jeu de miroir extraordinaire opéré par la série, qui met dans une relation symétrique le passé idéalisé d'une part, et le présent détesté de l'autre, les faisant peu à peu se rapprocher, abolissant les faux semblants, et rétablissant la vérité derrière les faux souvenirs, démasquant l'angélisme, l'innocence et l'ineffable, que ce soit à travers le personnage pervers de Viruca ou le passé d'Iago, Carlos Montero nous offre une série de fin d'année réellement extraordinaire, qui résonne d'autant plus justement après une année aussi désagréable. Le passé n'est pas une fatalité, le chaos peut laisser place à la reconstruction. Vivement 2021.