Lancée en 2019 sur la chaîne publique CBS, Evil a connu un large succès aux États-Unis. Un succès tel que la série est même devenue l’un des fers de lance de la nouvelle plateforme Paramount + pour sa seconde saison et qu’elle est déjà renouvelée pour une troisième ! Crée par Robert et Michelle King à qui l’on doit déjà The Good Wife ou encore The Bite, Evil est désormais disponible en France sur Salto (en plus de sa diffusion sur TF1). Mais que vaut cette série où surnaturel et rationalité se tirent la bourre ?
La foi ou la loi ?
Le principe d’Evil est aussi simple qu’efficace : confronter la croyance au réel. Pour se faire, Robert et Michelle King nous embarquent dès le pilot dans une aventure menée tambour battant et rarement un premier épisode de série n’a été aussi vite à mettre en place toute sa mythologie.
Kristen Bouchard est une psychologue qui bosse pour la Justice dans le Queens et tente d’analyser les criminels pour savoir qui peut être jugé responsable de ses actes ou relevant plus surement du domaine psychiatrique. Confronté à Orson Leroux, un serial killer, Kristen est avertie par David Acosta, un prêtre en formation, que les dires de l’accusé qui se prétend possédé par le démon…ne sont peut-être pas sans fondement. Alors que Kristen commence à avoir des terreurs nocturnes où elle voit un démon qui se fait appelé Georges, une autre menace se fait jour en la personne de Leland Townsend, autre psychologue qui semble intimement lié à Leroux et déterminé à nuire au système judiciaire. Alors que LeRoux finit par être condamné, David propose à Kristen de le rejoindre lui et Ben Shakir, un expert en technologie, pour enquêter sur des cas de possessions et de phénomènes surnaturels soumis à l’Église.
Après un pilot qui passe à la vitesse d’un TGV lancé à pleine vitesse et qui enchaîne les péripéties sans reprendre son souffle, Evil se lance dans un schéma archi-classique que l’on appelle couramment le « case of the week » où chaque épisode confronte nos héros à un cas différent qu’ils devront résoudre. C’est le principe utilisé par X-Files ou encore Fringe, deux séries dont s’inspire ouvertement Evil en y mêlant un zest des séries policières à rallonge qui pullulent sur la télévision publique américaine.
Evil va même plus loin que l’hommage en jouant sur les mêmes mécanismes narratifs que la série de Chris Carter.
Du démon dans mon X-Files !
Comme dans X-Files, Evil cherche à confronter deux points de vues : celui du croyant et celui du scientifique, du rationnel. Petite variante ici, la chose ne se construit plus sur un duo complètement opposé mais sur un trio qui semble d’abord évoquer un panel plus large de réactions face à l’inexpliqué.
David est un futur prêtre, un croyant, Kristen est une psychologue mais qui semble croire sans croire, c’est une agnostique et Ben est un scientifique pur jus, un athée. Dès lors, la série tente de faire s’affronter ces points de vues pour entretenir le doute sur les affaires traitées par le trio.
Problème, cette petite gymnastique va vite tourner court puisque très rapidement, plus personne dans ce petit trio ne s’oppose avec véhémence aux origines surnaturelles de ce qu’ils affrontent.
Comme pour Fringe et X-Files, Michelle et Robert King jonglent avec une histoire amoureuse latente (entre David et Kristen) pour accrocher son public. De même, la série va progressivement basculer d’un mécanisme de « case of the week » vers une histoire où tous les fils rouges de la saison tendent à se réunir, même si cela n’intervient au final que dans les deux derniers épisodes.
En somme, Evil réutilise des principes télévisuels éculés et déjà largement éprouvés avant lui. Son originalité se trouve ailleurs.
L’horreur, en face
La première originalité, et non des moindres, c’est d’assumer frontalement son univers surnaturel et ses créatures démoniaques…dès le premier épisode ! En effet, dès le pilot, Evil nous montre Georges, le démon tortionnaire qui vient terroriser Kristen durant la nuit. Pas d’hors-champ ou de voix venant de nulle part mais bel et bien un démon en chair et en os au design particulièrement réussi et qui ne s’embarrasse pas de subtilités pour effrayer Kristen (et le spectateur). Cette caractéristique d’exposer le mal en pleine lumière se retrouvera souvent durant les épisodes suivants avec des éléments très graphiques mais qui finiront tout de même par interroger.
Car avec cette volonté de montrer, Evil prend aussi le pari d’abandonner toute subtilité dans son traitement, et c’est là que la série va finir par se tirer une balle dans le pied notamment avec l’apparition en fin de saison d’un démon-bouc plus ridicule qu’effrayant…
Ce fragile équilibre entre terreur et grotesque se retrouve dans les nombreuses séances d’exorcismes qui jalonnent cette première saison et durant lesquels les acteurs/actrices en font des tonnes. Le résultat apparaît plus souvent comme totalement ridicule que terrorisant.
L’autre originalité d’Evil, c’est donc de jouer la carte de l’efficacité et de l’enchaînement des péripéties à n’en plus finir. Cette caractéristique tient aussi à la nature même du show qui reste une série conçue pour la télévision publique américaine où le but reste de ferrer le spectateur pour qu’il ne zappe pas à la première page de pub venue. Ce qui donne au final un sentiment de trop-plein aux épisodes et de cliffhanger faciles. Ce rythme précipitée qui joue d’abord en faveur de la série va finir par miner ses différentes histoires en accumulant ficelles scénaristiques voyantes et incohérences en pagaille.
Progressiste, vraiment ?
Pourtant, Evil fait quelque chose qui semble très intéressant. Le show tente de confronter les faits surnaturels, et notamment ceux à caractères divins/démoniaques, à la croyance dans un contexte d’hypertechnologie. Pendant un temps, la série parvient même à illustrer de façon assez roublarde que l’artifice technologique peut facilement mimer le fait religieux. On pense notamment à ce patron qui entend des voix mais qui se fait en réalité influencer par son enceinte intelligente ou à ces gamines qui se mutilent et qui sont en fait victimes d’un message subliminal inclue dans la musique d’une vidéo YouTube. Cette piste intéressante va cependant prendre une direction beaucoup plus contestable au fur et à mesure des treize épisodes de cette première saison.
Même si Evil traite de sujets d’actualité que sont le racisme, les incels, la maladie mentale ou encore (et c’est surprenant) du génocide Rwandais, la série se montre extrêmement ambiguë dans sa perception de la religion et sa place dans la société.
Osons même dire qu’Evil a plus souvent des allures sérieusement réac’ que de véritables intentions progressistes.
En toile de fond, la technologie est surtout décrite comme quelque chose de fondamentalement dangereux et mauvais : On peut vous espionner comme on veut, le jeux vidéo rend violent et traumatise, les médicaments sont dangereux, les médecins sont corrompus par les laboratoires, la psychologie est une manipulation, YouTube sert de vecteur à des nuisibles… Evil joue souvent sur la corde raide et dissimule un peu trop facilement des messages parfois scandaleux.
Prenons un exemple des plus parlants avec le lamentable épisode 9 dans lequel David est accusé d’avoir mis en danger la vie de Caroline, une femme exorcisée plus tôt dans la série.
Non seulement Evil nous place du côté de l’Église d’emblée, mais les scénaristes concluent à la responsabilité du psychiatre vendu à BigPharma et qui a nuit à la patiente pour se faire du fric. Et ceux qui l’ont « exorcisé » dans la salle de bains avec des crucifix et des bibles sont des gens bien qui l’ont aidé et remis dans le droit chemin. On nage en pleine hallucination collective et, pour tout dire, en pleine propagande.
Ce genre de choses reviendra à plusieurs reprises durant cette première saison pour transformer à la fin un show qui devrait semer le doute en une sorte de série qui fait l’apologie de l’Église et de la foi.
Deus ex Machina TV
Sans même considérer l’aspect idéologique borderline d’Evil, il faut aussi pointer du doigt son manque total de subtilité dans le traitement de ses intrigues ainsi que des ficelles scénaristiques de la taille du Grand Canyon.
De Leland Townsend qui peut visiblement dire et faire n’importe quoi au service de la Justice (et qui reste en poste même après un enregistrement plus qu’accablant diffusé en présence d’un juge) à cette séquence où Kristen se balade devant Ben avec du sang sur la jambe avant de l’essuyer en disant qu’elle ne veut pas en parler, tranquille.
On passera sur les révélations poussives de l’épisode final pour raccrocher les wagons ou sur certains cliffhangers qui sortent de nul part
(la mère qui tue son enfant supposément démoniaque, le jeune qui devient un incel terroriste après une veste en public et trois séances chez le psy, les enfants de Kristen qui maîtrisent les prières tibétaines en une aprem, la mère de Kristen qui tombent éperdument amoureuse du pire connard de la série…).
Evil a la fâcheuse tendance à bâcler ses mécanismes narratifs et pour cause, le show n’en a simplement pas le temps du fait de sa durée et de son positionnement clairement grand public.
Côté mise en scène, rien de bien formidable, la plupart des réalisateurs se contentant de fournir un objet reproductible et vaguement enrichi de quelques plans où la caméra s’incline pour donner une impression d’étrangeté qui finit par lasser. Reste alors les acteurs, très solides quand on se limite au trio principal — Mike Colter, Katja Herbers et Aasi Mandvi, le meilleur des trois — et qui virent souvent au drame dès que l’on se tourne vers les rôles secondaires pris entre surjeu et médiocrité absolu. Seul Michael Emerson semble tirer son épingle du jeu là-dedans en jouant le manipulateur-sociopathe avec un plaisir non dissimulé.
Evil aurait pu être une série extrêmement intéressante mais, voilà, il a fallu qu’elle atterrisse sur une chaîne grand public aux mains de showrunners aussi subtils qu’un éléphant dans un magasin de porcelaine. En y ajoutant une ambiguïté idéologique qui met parfois mal à l’aise, un casting secondaire souvent lamentable et un repompage en règle de séries cultes, Evil n’a rien du show génial (sur)vendu par des critiques américaines clairement à l’Ouest.
Addictif certes, mais facile, populiste et souvent grotesque.