Du catalogue de séries annoncées Star Wars par Disney en 2020, Andor n'était certainement pas la plus évidente. Dérivé d'un film dérivé (Rogue One), consacré un personnage dont le sort est déjà connu, explorant une temporalité pas mal fouillée par d'autres (Rebels, The Bad Batch),...De surcroit, on ne peut pas dire que les séries live aient particulièrement brillé par une quelconque originalité. Mandalorian s'en tient à du générique tartiné de clins d'œil et guest-stars, quand Le livre de Boba Fett se révèle d'une misère déprimante. Conséquemment, on démarre cette nouvelle création avec fébrilité. Tant mieux, la surprise n'en a été que plus belle.
L'appréhension a fait oublier une petite chose pourtant essentielle à toute bonne série, son showrunner. Celui qui jette les bases, encadre l'atelier d'écriture et le ton à donner. Le rôle a été confié à Tony Gilroy, plume derrière les Jason Bourne, Michael Clayton ou Jeu de pouvoir et script-doctor de luxe sur Rogue One (on lui doit l'excellente partie finale). Première chance : l'homme ne voue pas de culte à l'univers Star Wars. Deuxio, ses créations ont le point commun de s'intéresser à des personnages aux prises avec une situation qui leur échappe. Le crédo s'accorde à merveille avec le personnage de Cassian Andor, héros fracturé et ambivalent. Gilroy s'entoure d'une équipe de scénaristes en titane, comprenant son frère Dan (Night Call), Beau Willimon (House of Cards) et Stephen Schiff (The Americans). Du politique, des enjeux plus adultes et des dilemmes moraux en cascade, voilà pour les promesses. À l'arrivée, Andor va même au delà de ce qu'on était en droit d'espérer.
Ce qui happe d'abord, c'est la fluidité et la cohérence de cette première saison. Rappelons d'ailleurs qu'une saison introductive est tenue de poser les règles et protagonistes essentiels d'abord pour ensuite lancer la partie. D'où ma surprise à lire certains commentaires jugeant les premiers épisodes somnolents, à un temps où les meilleures séries ont démontré que prendre son temps valait mieux que de le perdre à foncer sur du plat. Moments d'exposition et péripéties s'enchainent avec brio, une réelle gravité traverse les 12 épisodes et nombre d'idées prennent de court. La division en points de vue est une vraie aubaine, poussant certaines thématiques entraperçues au mieux dans les films/séries Star Wars. Les mécaniques d'oppression ou de rébellion sont passées au crible, tout comme le coût humain et moral derrière chaque décision d'un côté comme de l'autre. La puissance du récit s'en trouve décuplée, d'autant que la direction artistique est à l'avenant.
On a un beau quatuor à la page, et un très bon trio derrière la caméra. Toby Haynes, Susanna White et Benjamin Caron se relaient avec cohésion, travaille le cadre, les atmosphères, la mise sous tension et laissent les personnages exister. Certains devront attendre pour déployer leurs ailes, comme souvent. C'est le cas de Bix, incarnée par la charmante Adria Arjona hélas peu exploitée. En revanche, les figures essentielles se dessinent avec intelligence. Cassian est un cas intéressant, simultanément en périphérie et partie intégrante de la toile qui se tisse. Un marginal sans cause ni patrie qui se découvre petit à petit une conscience au gré des épreuves et de ses rencontres. Un Han Solo moins aimable mais assorti à ce ton plus noir. Diego Luna (très bien) est visiblement ravi de creuser ce sillon. Il n'est pourtant pas loin de se faire voler la vedette par plusieurs de ses partenaires.
En premier lieu Luthen, bloc de flegme allié au charisme de Stellan Skarsgård. Nouveau venu dans le paysage, il synthétise parfaitement la finesse d'une écriture qui donne plusieurs couches de personnalité à ses meneurs. Même constat pour Denise Gough, au jeu tranchant et raffiné. Dans le mauvais camp, on s'y attache quand même parce qu'on est loin de l'antagoniste unidimensionnel. Kyle Soller n'a pas le même temps de présence - c'est dommage, d'ailleurs - ce qui ne l'empêche pas d'apporter aussi de l'air à l'Empire, en donnant quelques touches d'humanité à un officier un peu gauche et émasculé. Quelques rôles secondaires tirent leur épingle du jeu. Karis (parfait Alex Lawther), rebelle et théoricien dont les pensées épousent certains idéaux socialistes, chose qu'on attendait plus de Star Wars après son rachat par Disney. Et Andy Serkis qui vole presque toutes les scènes où il apparait. Son grand moment de gloire - au sein d'un morceau de bravoure - est d'ailleurs l'une des scènes les plus fortes vues dans Star Wars. On en applaudirait son petit écran.
Ce sera le dernier gros point fort de Andor, les climax. Cette saison introductive en comporte trois, et chacun d'entre eux équivaut au dernier acte de Rogue One en termes d'intensité (pour vous donner une idée du niveau). Terminées les infiltrations bourrines d'un Mandalorian (ne parlons même pas du navrant épisode IX), on se situe dans une veine bien plus prenante et tendue. Il y a un effort de crédibilité surprenant, évitant les lieux communs habituels pour nous montrer comment un grain de sable ébranle une stratégie, à quoi ressemble l'improvisation face au aléas, une opération de la dernière chance et les dommages collatéraux. Tellement de choses évidentes passées sous silence ou effleurées tout juste (dans les séries animées) et qui font l'effet d'une perfusion à un organisme ankylosé par quelques années de traitement rétro. Star Wars n'avait pas été aussi captivant depuis...1980 ?
Restons dans l'implicite, cette ritournelle est devenue une blague tellement elle a été servie à toute les sauces en 20 ans. Il n'en demeure pas moins que cette fois c'est vrai. Cela pourrait-il se confirmer avec une saison 2 ? Espérons, les signes sont très encourageants. Gilroy n'entend pas tirer sur la corde et s'en tiendra à deux saisons (choix surprenant, un de plus). En tout cas les bases sont maintenant très solides, et la réussite impose le respect. Recréer de l'excitation autour d'une série live, c'était complètement inespéré. Mais en fouillant la zone grise trop souvent laissée de côté, la galaxie fort lointaine a enfin repris de belles couleurs.