Genèse d’un héros.
Si les deux premiers épisodes paraissent obscurs et lents (une habitude dans les débuts d’histoires de l’univers Star Wars, une façon de poser la situation initiale de manière incontournable), le troisième permet de rentrer dans l’action et de manière magistrale. Disons-le tout de suite : Diego Luna joue avec une justesse remarquable le bad boy attachant malgré une absence totale d’humour, ce qui n’est pas une mince affaire. Autour de lui gravitent pas mal de bons acteurs dont le plus connu est Stellan Skarsgård, qui a dû se perdre en chemin : il nous a déjà prouvé qu’il pouvait être excellent ou franchement mauvais en fonction du rôle qui lui est donné ; ici, on hésite. En revanche, Kathryn Hunter (Arabella Figg dans la saga Harry Potter et les sorcières dans le Macbeth de Joel Coen) apporte ce petit quelque chose de désuet et décalé qui appartient profondément à l’univers de la franchise, Fiona Shaw (Tante Petunia dans la saga Harry Potter, Mrs Nugent dans le Garçon Boucher de Neil Jordan) est particulièrement touchante même si trop peu présente et Denise Gough est réellement impressionnante en superviseure du BSI, intraitable, machiavélique et diablement intelligente mais également profondément réaliste. C'est d'ailleurs l'une des prouesses de cette série : rendre presque attachants des personnages "méchants" (c'était déjà le cas avec Darth Vador, je ne sais pas si ce que j'écris est un spoil...)
Quoi qu’il en soit, l’aventure prend tout son sens jusqu’au 6ème épisode, la moitié de cette première saison. On passe ensuite à une autre part de l’histoire, avec un décalage certain et plutôt abrupt. On a en quelque sorte deux mini-saisons en une et les épisodes 7 et 8 prennent de nouveau du temps pour installer le contexte de la deuxième partie. C’est un rien longuet et étiré, voire parfois absurde dans les épisodes qui suivent
: Cassian le touriste, Cassian le taulard, Cassian l’évadé qui retrouve son butin comme par magie, Cassian qui se retrouve dans son bled hyper surveillé par le BSI sans qu’on sache comment il a fait alors que là, précisément, on aurait aimé un développement plus utile que la déchéance de Syril Karn, les déboires financiers et culturels de Mon Mothma et les atermoiements de Luthen
.
Sans être transcendants, les dialogues tiennent la route et sont dans le ton général de l’univers étendu, les personnages, certes archétypaux, sont assez bien développés, la musique est neutre, ni trop envahissante, ni réellement porteuse, et la réalisation est propre, quoique manquant peut-être d’un brin de la magie qui a fait le succès du space opera original. Nous sommes dans un drame humain et réaliste avant tout et rares sont les apparitions de personnages non-humains ou de monstres fantasques ou rigolos, rares aussi les batailles épiques avec des lasers partout.
Tout l’intérêt de la saison tient dans la description de la structure rebelle, telle qu’elle est au moment où se déroulent les épisodes, mais aussi telle qu’elle était avant cela puisque Mon Mothma, Saw Gerrera (fabuleux Forest Whitaker), Luthen Rael (et son vaisseau digne d’un James Bond intergalactique) et d’autres chefs de groupes se connaissent déjà, sinon de vue, au moins de nom. On se demande alors comment le puzzle va se former pour en arriver à Rogue One et Un Nouvel Espoir, exercice intellectuel vraiment plaisant mais aussi philosophique, via le manifeste de Karis Nemik ou lorsque Gerrera prononce « for a greater good » ; outre la référence volontaire ou non à Grindelwald, on ne peut s’empêcher de penser aux œuvres existentialistes qui se sont nourries de l’esprit révolutionnaire. On regrettera néanmoins l’absence de liens avec la série animée Rebels (à l’exception notable de Saw Gerrera et Mon Mothma) qui se situe globalement à la même période. Et puis ça manque cruellement de sabres et de jedis !
(Non, ils ne sont pas tous morts.)
Peut-être tout cela se mettra-t-il en place dans la deuxième saison ? Peut-être aussi la réponse à cette question que se posent pas mal de spectateurs : qui est réellement Kleya Marki ? Est-elle la secrétaire dévouée de Luthen ou sa supérieure ?
Et ce nez, ce regard, ces oreilles, ces coupes de cheveux ! Il est vraiment difficile de ne pas songer à Leia Organa.
La deuxième partie de l’épisode final est une réelle prouesse filmographique, orchestrée de main de maître sur le plan visuel et sonore (un mélange de Bregovic, Glass et Pärt), à la manière d’un final de western
où tous les personnages se retrouvent sur l’allée centrale d’un bled poussiéreux, sans qu’on sache qui tirera le premier, qui restera sur le carreau
. Ce moment rachète intégralement les errances et approximations poussives que l’on peut détecter ça et là, au fil des épisodes. C’est tout simplement grandiose.
En conclusion, les Studios Disney, en confiant cette série à Tony Gilroy, déjà co-scénariste de Rogue One et d’autres blockbusters et films d’espionnage, rendent du corps et de la densité à la saga étendue, après la déception Boba Fett et le ratage Obi-Wan mais aussi le surprenant Mandalorian.