Quand on découvre la première création de Little Marvin, on a du mal à ne pas penser à la vague horrifique initiée par Jordan Peele avec "Get Out" et "Us". Avec le racisme comme fil conducteur, "Them" racontera une histoire par saison, à la manière de la série d'anthologie "American Horror Story". Cette première saison se déroule en 1953, en pleine expansion du marché immobilier américain. On y suit la famille Emory, des afro-américains de Caroline du Nord qui déménagent à Compton, un quartier résidentiel de Los Angeles entièrement blanc. Pensant échapper aux lois Jim Crow (celles qui ont instauré une ségrégation raciale dans les lieux publics), cette dernière va bien vite être confrontée au racisme polluant du voisinage. Mais sous le soleil éclatant de Californie, à l'ombre des résidences pastel se cachent d'autres démons...
Puissante, effrayante, malaisante, intelligente et extrêmement bien interprétée, "Them" fait partie de ces séries qui nous glace le sang et qui marque les esprits sur le long-terme. Il suffit de prendre connaissance du contexte social et politique de l'époque pour nous terrifier. En cela, le premier épisode fait office de coup de poing car il nous fait vivre le cruel processus du racisme ordinaire, plantant un climat on ne peut plus oppressant et anxiogène. La quête première d'une vie paisible et idyllique dans une charmante banlieue est ici pourrie de l'intérieur, dévastée par une succession de persécutions en tous genres, faisant naitre paranoïa et angoisse au sein de la famille... L'axe volontairement réaliste est éprouvant, servi par des scènes choc désagréables et profondément pertinentes. On essaye de se rassurer en replaçant l'histoire dans son époque mais les récents événements tragiques qui ont fait émerger le mouvement Black Lives Matter sont la preuve que "Them" aborde une question intemporelle et d'actualité ! On sent que l'imaginaire du créateur en est directement impacté et il réussit à rendre palpable cette insondable rage qu'on ne peut vraiment connaitre à moins d'en avoir été victime... Ainsi, en tant que spectateur de cette horreur humaine, de l'incompréhension nait un sentiment d'injustice qui aboutit à une profonde haine face aux scènes les plus insoutenables... Ici, rester indifférent n'est pas une option.
Fort heureusement, la série se distingue autant par sa forme que par son fond ! En effet, que ce soit par ses mouvements de caméra, son montage, sa reconstitution des 50's, ses musiques ou encore son générique, "Them" adopte une esthétique globale très inventive et alléchante. Les parti pris viennent constamment nous surprendre, s'éloignant habilement des traditionnels jumpscares. La forme nous séduit et nous happe pour mieux nous impliquer émotionnellement dans ce récit cauchemardesque. En parallèle à celui-ci, et au risque d'en perdre certain en cours de route, une histoire de fantômes se profile. Personnellement, je trouve que l'intrusion du surnaturel permet de tenir face à l'insupportable. Ça nous ramène à la fiction, à l'horreur populaire. Véritablement flippantes, ces visions figurent également les démons intérieurs de chacun des membres de la famille.
Enfin, la série n'aurait pas autant d'impact sans l'interprétation incroyable des acteurs. Ils se donnent corps et âmes, ce qui procure authenticité et véracité à l'ensemble. Je suis admiratif de leurs investissements et je me suis même parfois demander comment ils réussissaient à vibrer autant. En écoutant une interview, j'ai appris qu'un psy se trouvait sur le plateau lors des scènes les plus rudes, leur permettant de s'investir au bon endroit, sans "se faire mal". C'est dire l'exigence émotionnelle qu'impose le scénario ! Deborah Ayorinde est la révélation du show et dessert une performance nuancée, poignante et mémorable, jouant constamment sur un fil, entre folie et lucidité. À ses côtés, Ashley Thomas délivre une belle puissance de jeu, à la hauteur de sa partenaire. Je n'hésiterai pas à parier qu'on retrouvera leurs noms parmi les nommés des prochains Golden Globes. Il en va de même pour Alison Pill, l'horripilante voisine vénéneuse, de plus en plus complexe au fil des épisodes. Shahadi Wright Joseph et Melody Hurd, pour leur jeune âge, sont brillantes et déconcertent plus d'une fois par leur aisance à s'investir dans des scènes si violentes. Parmi les seconds rôles, nombreux sont ceux qui m'ont surpris mais Jeremiah Birkett est sans doute celui qu'il faut mentionner. Via son personnage de clown peinturluré, il façonne l'un des rôles les plus perturbants et flippants que j'ai pu voir. Preuve en est avec mes quelques nuits agitées suite à mon visionnage...
Si j'avais un reproche à faire à "Them", ce serait sa fin. Car, au vu du calvaire de ce bref séjour à Compton, j'aurai aimé quelque chose de différent. C'est à mon goût trop lisse, trop propre et rien n'est laissé en suspens. Tout retombe (presque) sur ses pattes, donnant bonne conscience à Little Marvin qui rend gentiment justice à ses personnages...
Mais sinon, "Them" est bel et bien une petite pépite à ne pas louper, se hissant parmi les meilleures productions originales Prime Vidéo. Au-delà des émotions vives qu'elle procure, cette tragédie fantastique met en lumière les paradoxes d'un pays qui a évolué sur le socle de la violence et de l'esclavagisme.