J'ai découvert cette mini-série un peu par hasard, attiré par la tête d'affiche d'Emma Thompson (encore !). Je n'en avais pas entendu parlé, celle-ci ayant été (injustement) boudé par les cérémonies de récompenses. Sans savoir de quoi ça traitait, j'ai été emporté et troublé par ce microcosme familial, englouti par un monde à la dérive. "Years and Years" provoque un choc tout en éveillant notre conscience et notre humanité aux différentes voies que notre société est susceptible d'emprunter à l'avenir.
La série démarre en 2019. Le monde est en pleine mutation, que ce soit politique, climatique, social, technologique... Via le prisme de la famille Lyons, on assiste à ces changements tout en observant leurs relations, leurs désaccords, leur unité. Mais les années passent et les événements planétaires ne cessent de se faire plus effrayants, incontrôlables, allant jusqu'à mettre à mal l'existence des membres de la famille.
Difficile de sortir indemne du premier épisode de "Years and Years". Ça secoue et ça fait peur. Cette dystopie ultra-réaliste imagine avec fracas les tourments d'un monde en plein chamboulement. Alors que la technologie et la science s'ouvrent à des progrès incroyables et illimités (voire parfois flippants), la mini-série parvient non seulement à faire réfléchir sur notre possible investissement dans un futur proche mais s'impose aussi comme une authentique mise en garde. On renoue avec les émois confus des meilleurs épisodes de "Black Mirror". La force de la série réside dans l'empathie et le confort matériel dans lequel se déroule l'action : on assiste à l'effondrement de la société dans le cadre intime d'un foyer anglais. On est, comme les personnages, pris de court, dépassé, victime d'un chaos grandissant. Le temps file et la destruction se répand en Grande-Bretagne mais aussi au sein d'autres nations : la montée des extrêmes, le Brexit, la politique de Trump, la gestion des flux migratoires, le changement climatique... C'est très proche de notre réalité actuelle, sans céder à la caricature pour autant, et c'est sans doute pour ça que la série met autant mal à l'aise. C'est terrifiant de réalisme.
Au-delà de la catastrophe dans laquelle on s'engouffre, "Years and Years" est aussi, et surtout, une histoire de famille où les thématiques de l'amour, de la parentalité, des liens entre frères et soeurs, des traditions, de l'héritage, de la tolérance ont toute leur place. Chaque personnage est important dans la narration : entre le père dépassé par la crise, sa femme aux petits soins qui a fini par s'oublier elle-même, des enfants en manque de repères et de confiance, la matriarche qui fait perdurer la cohésion et les traditions familiales, une soeur activiste prête à tout sacrifier pour la cause qu'elle défend ou cet autre frère totalement guidé par les sentiments, la série fait preuve d'une écriture recherchée et chorale qui entrecroise brillamment ces destins à l'Histoire universelle.
C'est une série très touffue, tellement dense en informations qu'on peut s'y perdre et trouver l'ensemble si gros qu'on finit par plus y croire. La fin, par exemple, beaucoup plus science-fiction, m'a moins emballé. Mais on ne peut nier que la série maitrise intelligemment ses nombreuses ellipses pour ne préserver que l'essentiel, une succession de moments forts qui procure une adrénaline mêlée de frissons. C'est une oeuvre complexe mais équilibrée, qui veille à ne jamais déborder dans les excès et à ne pas condamner abusivement son récit vers une fin horrible. Elle ne vient pas non plus nous faire la morale et replace toujours le facteur humain au centre de son récit. L'accent continu mis sur les personnages et leurs aspirations fait que la série est très fluide et touchante. Les comédiens, d'ailleurs, sont géniaux, tous au diapason, complémentaires, drôles et pertinents.
Une série qui laisse K.O.