Nouvelle mini-série de Ricky Gervais diffusée sur Netflix, "After Life" fait la part belle à l'humour noir dont l'artiste britannique a fait sa marque de fabrique tout en défrichant une veine sensible insoupçonnée. C'est un exercice d'équilibriste périlleux plutôt réussi, car "After Life" est finalement drôlement touchante et attendrissante, tout en étant réaliste, simple et poétique, où Ricky Gervais y négocie un virage sensible insoupçonné. Le scénario de cette série est déjà drôlement original : depuis
la mort de sa femme, emportée par un cancer du sein foudroyant, Tony n'est que l'ombre de lui-même. N'était-ce le regard apitoyé de sa chienne au moment de passer à l'acte, il aurait déjà mis fin à ses jours. Ses idées noires, Tony les diffuse partout où il promène sa carcasse voûtée, trouvant dans une misanthropie féroce le refuge à sa dépression. Qu'importe l'affection prudente que lui manifeste son entourage, à commencer par son beau-frère, patron du journal local pour lequel il travaille, Tony répond aux malheurs qui l'accablent d'un "fuck off" univoque, et dispense au monde entier ses états d'âme désabusés. De là à devenir infréquentable il n'y a qu'un pas, que Tony franchit allègrement : "Je deviens un connard. Je dis ce que je veux autant que je le veux. Et si ça va trop loin, je pourrais toujours me tuer. C’est un super pouvoir"
. Dire ce qu'on veut quand on le veut, voilà qui résume bien l'alpha et l'omega de l'humour corrosif de Ricky Gervais. Et autant qu'il sert d'excuse à Tony pour pourrir son monde avec férocité, le deuil au centre de "After Life" a pour Ricky Gervais des allures de prétexte tout trouvé, lui permettant de déployer l'étendue sans limite de son humour acerbe, que jugule tout juste une cruauté cathartique. De punchlines assassines en commentaires acrimonieux, Tony arpente sa bourgade anglaise en véritable sniper, abattant ses cibles avec une précision létale. Et elles sont nombreuses, ses cibles, de
son collègue photographe, sorte de grosse peluche indolente dont la gloutonnerie notoire fait l'objet de ses incessantes moqueries, à la galerie de freaks peuplant les pages interlopes de la gazette pour laquelle ils travaillent : ici, un vieillard qui n'en revient pas d'avoir reçu cinq cartes de vœux identiques pour son anniversaire; là, une retraitée lunaire persuadée que le visage de Kenneth Branagh est apparu sur le mur de son salon après un dégât des eaux... Autant d'hurluberlus en mal de reconnaissance, prêts à tout pour faire la une de la feuille de chou locale, dans lesquels Tony ne voit guère plus que "d'infects parasites"
. Ce serait donc ça, "After Life" ? Les tribulations caustiques d'un veuf acariâtre, taillé sur mesure pour Ricky Gervais par Ricky Gervais ? Pas vraiment. Ou plutôt, pas seulement. Passée une mise en place dépressive, dans laquelle on se délecte néanmoins (il faut l'avouer) des scènes mordantes qu'occasionnent l'état limite d'un Tony en roue libre, s'esquisse la possibilité d'une rédemption, et, dans l'entrelacs de rencontres inopinées, finit par vaciller un semblant de lumière. La jeune reporter
à qui Tony conseillait d'abandonner une carrière de journaliste tuée dans l’œuf ("et d'ailleurs, on ne fait pas de journalisme dans ce journal à la noix"), parvient peu à peu à fissurer la carapace d'acier de son mentor résigné. Idem pour l'infirmière s'occupant de son père grabataire, qu'après avoir rabroué de piques sarcastiques dont il a le secret, Tony finit par voir sous un jour nouveau... Quant à la veuve qui fleurit quotidiennement la tombe de son défunt mari, dont la parcelle jouxte celle de la femme de Tony, elle deviendra une confidente avisée, lui dispensant les enseignements d'une vie. Mais plus encore, c'est sa rencontre avec toute une galerie de marginaux aux vies accidentées (de la prostituée qu'il engage pour faire le ménage chez lui au toxico avec qui il expérimente l'héroïne) qui lui fera ouvrir les yeux sur une réalité aussi évidente qu'implacable : tout le monde souffre. Un constat à la banalité confondante, qui prend chez Tony des allures d'épiphanie. A cinquante ans passés, cette tête de nœud, qu'un chagrin insondable avait rendu odieusement égoïste, se rend compte que la vie a beau être une belle saloperie, elle a sur la mort l'avantage d'être moins définitive. S'enclenche alors une quête rédemptrice, transformant notre misanthrope hargneux en un type respectable, lui faisant progressivement reprendre goût à la vie, et laissant Ricky Gervais seul responsable des insanités jusqu'ici proférées
. Ce que la série perd en humour noir, elle le gagne en sensibilité larvée. Certains personnages comme Sandy sont très bien écrits et très attachants, j’ai bien aimé la relation de Tony avec sa femme, on voit bien que quand
il visionne des vidéos d’elle lui parlant, il n’arrive pas à faire son deuil. J’ai adoré la manière dont il remet à leur place deux voyous qui essaient de le racketter. Tony a aussi une relation assez particulière avec son ami enrobé qu’il adore taquiner mais qu’il aime vraiment bien au fond, c’est presque de l’amitié d’ailleurs entre ces deux-là. Certaines confrontations de Tony sont assez jubilatoires, comme celle avec la serveuse antipathique du restaurant. L’une des relations les plus intéressantes reste celle que Tony entretient avec la dame du cimetière qui le comprendra sans jamais le juger. On voit bien à quel point c’est dur pour Tony de retrouver le sourire, malgré que son beau-frère fasse tout pour lui redonner le sourire. On voit que la relation entre Tony et son beau-frère est très tendue. Tony apprendra à davantage respecter la prostituée, tandis qu’au restaurant il aura rencart avec une nana qui a aussi perdu son mari et qui est assez odieuse et impertinente, qui est d'ailleurs une vraie pouf beaucoup trop bien pour Tony. Cependant Tony peut être vraiment inquiétant, comme lorsqu’il menace un rouquin qui s’en prenait à un petit sans défense dans une école élémentaire. J'ai aussi particulièrement apprécié tout le passage dans l’épisode 5 avec le type qui tient un théâtre de marionnettes et qui est assez étrange, et d’ailleurs les collègues de Tony vont le remarquer (et Sandy prendra même sa défense en disant qu’elle trouve cela triste). Vraiment, les meilleurs passages de la série sont ceux avec le psychologue de Tony, avec qui il a des discussions très cocasses, et bien sûr avec la veuve du cimetière et à ces moments-là la série délivre des scènes extrêmement belles, simples et poétiques. L'un des meilleurs moments de toute la série est le passage où Sandy dit à Tony qu’elle le trouve drôle mais qu’il lui fait de la peine, qu’elle sait qu’il aimait follement sa femme et qu’elle espère un jour qu’elle rencontrera quelqu’un qui l’aimera autant que lui a aimé sa femme, mais surtout elle lui dit qu’il a le droit au bonheur, elle lui demande de sourire et d’être heureux et les deux ont vraiment un échange touchant et poétique lorsqu’elle lui demande s’il veut lire une lettre qu’elle a écrite. La relation de Tony avec la prostituée (ou plutôt "travailleuse du sexe" comme elle le dit elle-même) est très intéressante également car il apprend de plus en plus à la considérer, à la respecter, voir même à l’apprécier et à rire avec elle. Finalement, dans le dernier épisode, on voit bien que Tony recommence à vivre réellement, qu’il se montre réellement sympathique avec ses collègues, les gens qu’il rencontre, il leur dit à tous des mots gentils et bienveillants, et bien sûr il fait enfin le deuil de sa femme avec optimisme et bienveillance. A la toute fin, il finit d’ailleurs par aller sortir prendre un verre avec la femme de l’hôpital qui s’occupe de son père malade et qui lui plaît
. J’ai adoré ce mélange de poésie, de tendresse et d’humour dans ce décor banal. Et si "After Life" n'échappe pas à quelques clichés sirupeux, et succombe occasionnellement aux sirènes violoneuses qu'induisent sa transmutation abrupte, elle parvient néanmoins à nous prendre dans ses filets, et concilie avec un sens de l'équilibre funambule comédie noire mortifère et "feel good movie" cajoleur. On s'attache énormément aux différents personnages profondément humains (même le chien est terriblement attachant), et cette série est étrangement "feel good" malgré son sujet très axé sur le suicide de façon étrangement légère. Le postulat de départ, magistralement lugubre, correspond parfaitement au style du maître. Sauf que cette fois, Ricky Gervais ne va pas utiliser son génie créatif pour nous faire rire, mais pour nous faire pleurer. Parce que effectivement, "After Life" est avant tout une série sombre, sur le deuil, sur la mort, et sur ce qu'on fait de la vie. Rarement d'ailleurs, on avait parlé comme ça du suicide et de la dépression à la télévision. Usant des codes de la comédie noire, Ricky Gervais signe là une épopée macabre qui se transforme de manière très inattendue en drame bouleversant. On suit avec une empathie incroyable l'évolution de ce pauvre type, qui essaye tant bien que mal de retrouver goût à la vie. La transition de Tony, au cours des six épisodes de la série, est certes un peu prévisible, mais elle n'en reste pas moins passionnante. Pendant les trois heures que dure la série, on l'écoute philosopher et méditer sur le sens de la vie, au gré de rencontres aussi touchantes et attachantes qu'improbables (avec un drogué, une prostituée, ses collègues, son vieux père...). Malheureusement, à force de tirer sur la corde dramatique, Ricky Gervais peine à instiller la variation comique qu'il cherchait clairement. Malgré les vannes qui fusent ici et là, malgré les répliques toujours aussi assassines du comédien, "After Life" n'est jamais vraiment hilarante. Parfois drôle, parfois mordante (le bébé Hitler est impayable !), la série penche quand même nettement plus du côté du tragique. Mais au final, cette petite série Netflix à la fois comique et dramatique est vraiment plaisante à regarder, car cette série a un humour corrosif et efficace mais elle est tout aussi touchante à la fois... Elle met en plus en scène un personnage attachant bien que désespéré. Les décors sont d'ailleurs très simples mais agréables, à l'instar de la série. Les thèmes abordés sont forts (la perte de l'être cher, le suicide, le bonheur, la vie, etc...). Ricky Gervais excelle à la fois dans la réalisation et dans le jeu d'acteur. Les acteurs sont tous géniaux (j'ai particulièrement apprécié Mandeep Dhillon qui campe ici un personnage féminin très attachant en la personne de Sandy, Penelope Wilton dans le rôle d'Anne la veuve, et bien évidemment David Bradley, l'inoubliable Argus Rusard de la saga "Harry Potter" dans le rôle du père de Tony). Cette série fait rire, sourire, réfléchir et même pleurer (pour ceux qui peuvent s'identifier, ce qui n'a hélas pas été mon cas). Ça se regarde avec légèreté et ça fait du bien. C'est une belle manière d'aborder les différentes phases du deuil : le refus, la colère et l'acceptation. Un savoureux mélange politiquement incorrect ! Avec un humour acide comme la vie d'ailleurs ! Merci monsieur Ricky Gervais. Les épisodes s’enchaînent rapidement et facilement. Sinon la réalisation est simple mais plaisante, et la photographie soignée. Les décors sont très agréables, comme l‘appartement de Tony, les champs de verdure, la petite banlieue américaine très propre et très jolie, le cimetière, l'environnement de travail de Tony ou encore bien sûr la plage. On a ici une très bonne série Netflix vraiment originale, drôle, poétique, simple mais très touchante en même temps, et c'est dommage qu'elle ne soit pas plus connue que ça car elle mérite davantage de reconnaissance, de par sa simplicité, sa poésie et son authenticité qui ne ressemblent à celles d'aucune autre série, sincèrement. Définitivement, l'une des séries télévisées Netflix les plus sous-estimées au monde