Le déterminisme est un principe philosophique qui décrète que chaque événement découle inévitablement de causes qui lui sont antérieures. Ainsi, lorsque nous sommes confrontés à une prise de décision quelle qu’elle soit, notre choix ne dépend que de notre histoire, des conditions qui ont abouti à ce moment et du contexte dans lequel il s’inscrit. Si on entrait tous ces éléments dans un super-ordinateur, celui-ci serait en mesure de déduire nos actions futures. Ce concept anéantit donc la notion de libre arbitre car les actes que nous pensons effectuer en toute conscience ne seraient en réalité que les conséquences de paramètres que nous ne maîtrisons plus au moment où nous agissons. Ainsi portés par ces liens de cause à effet, nous suivrions tous un chemin nous conduisant de manière logique à une destination déjà écrite. De cette théorie est né le déterminisme universel qui considère qu’une seule et unique évolution de notre monde n’était envisageable, et ce, depuis la création de l’univers. Ce sujet passionnant ne pouvait échapper au thème de la science-fiction car la physique elle-même est en partie déterministe : un cause produira inéluctablement les mêmes effets.
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L’histoire de Devs se déroule dans une ville des États-Unis dont on ne connaîtra pas le nom. Sergueï et Lily vivent en couple et travaillent au sein d’une entreprise de haute-technologie gérée par Forest, un homme meurtri par la disparition tragique de sa femme et de sa fille dans un accident de voiture. Grâce à la qualité de son travail, Sergueï est promu dans l’unité ultra secrète appelée Devs. Il y découvre alors des informations qui le mettront pour le moins mal à l’aise. Sur le chemin du retour, il se fera assassiner par ceux-là même qui l’ont embauché. Dès lors, sa petite amie va chercher à comprendre ce qui a bien pu lui arriver.
Clairement, la série se décompose de deux parties distinctes : la première est assez narrative tandis que la seconde se veut plus philosophique. Suivant ce que l’on attend d’une série, on préférera l’une ou l’autre. Cet article valorisera la première. Car pendant 4 épisodes, on est en prise avec un univers singulier d’une grande richesse. En premier lieu, il y a l’aspect visuel. C’est beau. Cela fait un peu penser à « Tales from the loop ». La nature est présente et Devs est l’élément technologique mystérieux qui trône en son centre. De plus, l’atmosphère dorée et scintillante qui compose l’intérieur du bâtiment où se déroulent les recherches nous plongent dans un monde à part. Et celui-ci est paradoxalement très inquiétant. Les deux gigantesques statues d’enfants qui se tiennent au cœur du site sont d’ailleurs très effrayantes et tendent à montrer que si calme il y a, la sérénité en est exclue. Car derrière la lenteur, voire la douceur de sa mise en scène, l’histoire qui est nous racontée ici est emplie d’une violence qui surgit quand on ne s’y attend pas. Dès lors, la quiétude apparente qui semble se dégager de ces lieux devient réellement anxiogène.
Mais outre le décor, l’une des grandes forces de la série tient à sa bande-son. Naviguant entre musique tantôt bruitiste, tantôt planante, elle s’incorpore parfaitement à la mise en scène et renforce le caractère à la fois fascinant et violent de l’ensemble. A ce titre, les introductions des premiers épisodes sont particulièrement efficaces. Par ailleurs, la mélodie enveloppante d’un saxophone soprano à la réberbe prononcée (rappelant par ailleurs les grandes heures du label de jazz ECM) contribue à effacer les sons quotidiens de la vie urbaine. Ainsi, la ville est souvent filmée vue du ciel sans qu’aucun son ne s’en émane, absorbés par cette ambiance musicale vaporeuse. En temps normal, celle-ci pourrait être perçue comme un appel aux grands espaces. Mais ici, elle prive paradoxalement de tout échappatoire et nous oriente inlassablement vers le point névralgique et angoissant de cette histoire : Devs.
Cette atmosphère stylisée servait donc jusqu’ici une intrigue cohérente qui nous tenait en haleine… jusqu’à l’épisode 5, point de bascule de la série. Étonnamment, il n’y a rien à retenir de celui-ci, tant il se contente de narrer le passé des différents protagonistes sans que cela apporte quoi que ce soit à l’intrigue. Au contraire, il illustre de manière appuyée ce que le spectateur aurait été en mesure d’imaginer, se concentrant sur un style qui paraît tout à coup vide de sens. De même, l’épisode 6 met en scène deux dialogues qui ne nous apprennent rien ou si peu. Alors, il y a bien quelques scènes un peu plus intenses par la suite. Mais celles-ci sont noyées au milieu d’échanges verbaux fumeux où Shakespeare est cité d’un air grave pour bien nous faire comprendre que le sujet n’est pas pris à la légère. A ce propos, bravo à ceux qui ont réussi à comprendre la scène du barrage du premier coup ! On cherche alors désespérément un peu de tension et quelques prémices d’événements surprenants. En vain… A ce stade, on en vient à constater que même la musique s’est « popisée ».
Alors certes, le déterminisme est un thème philosophique passionnant et certains propos ne sont pas inintéressants. Certes, cela questionne sur l’utilisation des données technologiques quand celles-ci sont aux mains d’inventeurs portés par leurs intérêts propres (voire leur folie). Mais que c’est mal exploité ! Car la série ne respecte pas la règle de base qui veut que si on veut porter un message, celui-ci doit s’inscrire dans la narration. On espère alors que le final tant attendu (car on ne parle que de lui) viendra rendre vivant tous ces bavardages. Mais malheureusement, il ne fait que répondre à la question de savoir si les auteurs croient ou non au déterminisme. En imposant leur vision, ils ne questionnent ni ne font réfléchir le spectateur. Ils l’ont manifestement oublié en cours de route. Comme ils ont d’ailleurs oublié tout enjeu dramatique. Au final, en nous reléguant au rôle d’auditeurs n'ayant pas leur mot à dire, « Devs » a basculé d’une histoire intrigante (voire inquiétante) vers une thèse laborieuse.