Steven Knight, à qui on doit une bonne tripotée d'épisodes de "Peaky Blinders", a créé une série au concept singulier pour Apple TV +. "See" se déroule dans un futur lointain dystopique où l'Homme est revenu à l'âge de pierre après qu'une pandémie ait éradiqué une grande partie de la population mondiale. Les survivants sont tous aveugles et vivent au coeur de la nature dans des huttes en peaux de bêtes. Mais un étrange Messie, doté du don de la vue, a semé ses graines pour voir naître une nouvelle génération de "voyants" un peu partout dans la région. Dans un petit village, des jumeaux voient le jour et cachent leur sens inné car la puissante Reine est déterminée à tous les éliminer, persuadée que vue rime avec sorcellerie...
"See" propose un concept hyper ambitieux et original, effrayant et dépaysant, où l'Homme a régressé et a su s'adapter à une nouvelle façon de communiquer, de circuler, de chasser et de construire. Tout le processus de création, que ce soit le scénario, l'esthétique, l'interprétation des acteurs, est vraiment dingue car il franchit le pas sur un cadre inventé de toutes pièces. En cela, l'univers déployé dans "See" est une véritable petite prouesse d'inventivité et une chose est certaine, la série ne ressemble à aucun autre récit post-apocalyptique. Tournée en décors naturels (on ne croise que très rarement les vestiges de la société contemporaine), il y a là une jolie ampleur visuelle ainsi qu'un côté sauvage qui attire. Sans verser dans le contemplatif, la mise en scène traite toujours la nature comme un personnage à part entière, ce qui apporte une dimension mystique à l'ensemble. Bien que déroutant, "See" se déleste des clichés pour inventer ses propres codes, son propre rythme. Presque chaque épisode contient au moins un passage qui surprend par sa manière d'appréhender le décor, son rapport aux sons ou aux actions qui peuvent nous paraitre anodines.
Au départ, c'est bizarre de voir des acteurs jouer en regardant dans des directions opposés, et ça l'est tout autant quand certaines réactions physiques, notamment lors des scènes de combats, sont trop précises. Ces dernières sont d'ailleurs bien violentes et impressionnantes, avec un Jason Momoa survolté qui se prête aisément à l'exercice de l'aveugle. Le reste du casting est assez étonnant car excentrique et très branché spirituel. Sylvia Hoeks, dans le rôle de la Reine folle, m'a étonné dans presque toutes ses scènes. Elle adopte un ton et une attitude qui caractérisent toute sa puissance et sa cruauté. Il en va de même pour Alfre Woodard en grande prêtresse illuminée. Les jeunes acteurs, Archie Madekwe et Nesta Cooper, tout comme Hera Hilmar dans le rôle de la mère, laissent un peu indifférent.
Cela étant dit, cette première saison souffre d'un essoufflement à mi-parcours (voir même plus tôt), comme si les scénaristes galéraient à renouveler les enjeux pourtant bien partis. Les scènes d'action et le suspense laissent de plus en plus place à des scènes de dialogues inutilement interminables et monocordes. Je parlais avant d'un rythme bien singulier, on a là le revers de la médaille... On a même l'impression que ça se transforme en grand n'importe quoi par moment suite aux différentes révélations qui sont sensées redistribuer les cartes. Ensuite, on ne peut pas faire l'impasse sur les incohérences qui jalonnent la série... Par exemple, on se demande comment ils font pour se retrouver aussi facilement (par leur odeur peut-être ?), ou pour ne pas s'échapper lorsqu'ils sont prisonnier, ou pour éviter les coups fatals...
Au final, et ce, malgré quelques erreurs de parcours et quelques passages à vide, "See" dresse le portrait d'une société en perdition totale, ignorante et destructrice, tout en bénéficiant d'une singularité visuelle et d'un charme certain, loin de tout effets de déjà-vu... C'est une série qui divise, qui révulse presque autant qu'elle attire, mais j'avoue qu'elle m'a intrigué. Et même si le scénario de la seconde saison me parait un peu simple, j'y jetterai quand même un oeil !