Avant d’aborder littéralement, et sous un angle d’un réalisme terrifiant, la catastrophe nucléaire de Tchernobyl, cette mini-série de cinq épisodes s’impose aussi comme un pamphlet tétanisant sur le pouvoir du mensonge, imposant toujours sa domination dans l’URSS des années 1980. Certes, il y a déjà eu le bouleversant documentaire produit par Discovery Channel en 2006, « La Bataille de Tchernobyl », alliant avec brio témoignages et documents d’archives, dépeignant la catastrophe et ses conséquences avec une documentation jamais vue jusqu’alors. Avec une reconstitution fictive, il est vrai, nous étions en droit de craindre le pire, surtout en sachant qu’HBO n’avait pas réellement le droit de se tromper en s’appuyant sur un sujet pareil.
Mais bien sûr, la simple idée de concevoir que tout ce qui nous est montré est vrai suffit à elle seule à provoquer le frisson. Évidemment, nombre d’éléments ont été modifiés, afin de rendre la fiction plus efficace, mais cela n’entache guère la précision, ainsi que la finesse de l’écriture de Craig Mazin (étonnant quand l’on observe la filmographie de ce dernier). Le showrunner offre une série minutieuse, où l’horreur se confond avec l’absurdité du mensonge et où la tension de mêle au réalisme impalpable de la vérité. Car comment mettre en scène ces instants où la réalité dépasse la fiction ? Tournée en grande partie en Lituanie, « Chernobyl » met en exergue l’échec de la communication en tant qu’élément central de la catastrophe : élément déclencheur, il en est également l’éternelle conséquence. Et si cela est montré de manière parfois particulièrement didactique, il n’empêche pas à « Chernobyl » de s’octroyer une résonnance et une richesse dramatique accentuant encore davantage son authenticité et la pertinence de son propos à l’ère actuelle.
La brutalité silencieuse de « Chernobyl » vient aussi bien de sa vraisemblance que de son observation flirtant avec la contemplation. La musique, composée par la violoncelliste islandaise Hildur Guðnadóttir, apporte une véritable violence, où les notes crépitent à tout va, apportant ainsi une réelle ambiance d’horreur invisible. Pendant ce temps, s’enchainent les séquences insoutenables ; pour ne citer que, celle pont de Pripiat, dans le premier épisode, où encore celle des liquidateurs, nettoyant le toit de la centrale des déchets radioactifs pour permettre la construction du sarcophage. Une observation contemplative n’allant nullement à l’encontre d’un véritable cyclone dramatique, mais aussi politique. Car en plaçant Valery Legasov comme personnage principal, « Chernobyl » se risque à un terrain glissant, ici scrupuleusement éviter par une sobre interprétation de Jared Harris. Celui qui a tout fait pour apporter la vérité au monde, se voit confier un vif hommage, relevant notamment la question de la responsabilité.
« Chernobyl » fait intégralement confiance en l’acuité de ses spectateurs. Refusant sans détour les facilités du sensationnalisme et du misérabilisme, la série se place alors au plus près de l’événement, sans jamais se détourner de ses centres d’intérêts. Nous voyons un grand nombre de personnages, dont les intrigues se voient souvent classées sans suite, comme celle des exterminateurs, ou celle de Ludmila, par exemple. Pourquoi laisser ses intrigues inachevées au profit d’un cinquième épisode plus orienter sur la mécanique judiciaire et politique ? Tout simplement car ces petites histoires dans la grande resteront à jamais silencieuses, elles sont les spectres de Tchernobyl, celles qui demeurent et demeureront innommables.
En bref, le fruit d’un travail remarquable, face auquel on ne peut que s’incliner. Posant la problématique du cadrage de la réalité lorsque celle-ci surpasse la fiction, « Chernobyl » compte la folie humaine dans toute son essence, et la manière avec laquelle nous ne pouvons que rester impavide face à la destruction. La question, une fois la série achevée, est la suivante : si cela devait se produire, aujourd’hui, en France en particulier, le scénario serait-il similaire ? On ne peut en tirer qu’une réponse : difficile d’imaginer.
Et surtout, enfin un véritable hommage à celles et ceux qui ont empêché cette ignominie d’avoir des conséquences bien plus désastreuses sur l’ensemble de l’Europe.