S’agissant de mettre en parallèle Littérature et Cinéma, le point commun essentiel que l’on peut relever chez des réalisateurs comme Guy Ritchie et Christopher Nolan, outre que tout deux soient des sujets de la monarchie britannique, c’est d’avoir saisi à l’essence même le concept d’adaptation. Que cela concerne C. Nolan ayant été capable de donner à l’univers du comics une vision totalement plongée dans le réel par sa version du Batman, essentiellement dans « The Dark Knight ». Ou que cela concerne la relecture plus traditionnelle qu’offre Guy Ritchie à travers ces deux adaptations des aventures de Sherlock Holmes, dont chacun des films transpirent les personnages de Conan Doyle mais à travers les yeux d’un cinéaste. Et tout deux parviennent à offrir de grands films, certes pour tout un tas d’autres raisons leur étant propre, tout simplement par le fait d’adapter des monuments de la culture populaire par un prisme totalement unique leur permettant d’être à la fois original et parfaitement ancré dans l’ADN cinématographique de chacun (Nolan utilise la folie destructrice du personnage du Joker pour filmer de réelles explosions qu’il affectionne tant quand Ritchie offre des répliques et des scènes de combat à Sherlock Holmes comme lui seul en à leur secret de mise en scène).
Toutes bonnes adaptions se doivent de prendre ce chemin pour proposer quelque chose d’intéressant, et il semblerait que le créateur de la série Netflix « Lupin, dans l’ombre d’Arsène » (Georges Kay) fasse partie de ces initiés. Lui aussi est parvenu à illustrer le personnage d’Arsène Lupin, le célèbre Gentleman Cambrioleur créé par Maurice Leblanc au XIXe siècle, dans une série moderne et totalement estampillée XXIe siècle (et dont seule la moitié de la première saison est actuellement disponible), faisant de cette série franco-britannique Netflix la première de l’Histoire de la plateforme à être la plus vue aux USA. Et cela repose bien évidemment sur la qualité et l’originalité de cette adaptation : non seulement l’intrigue se déroule en 2020, complètement ancrée dans le monde actuel
(« wikipédia » est une source principale pour tout individus qui cherchent des infos sur un autre, les réseaux sociaux peuvent être manipulés et utilisés de façon néfaste, ou encore que les parcs à Paris sont traversés par des livreurs type « UberEat »)
, et en utilisant habillement notre époque afin d’y instaurer le contexte existant dans les aventures d’Arsène Lupin. Puisqu’il est vite flagrant que cette série ne tend pas à adapter au sens stricte l’œuvre de Maurice Leblanc, le protagoniste principal étant un lecteur devenu fan du personnage, par son histoire et son passé et qui s’inspire donc de Arsène Lupin depuis son adolescence
pour commettre des vols chez de riches bourgeois parisiens racistes et qui depuis a développé une habilité et un sens du déguisement très efficace, dont il aura besoin cette fois pour assouvir une vengeance familial.
Ainsi, ce simple constat suffit à mettre fin à toute une polémique de mauvaise foi reprochant aux producteurs de la série d’avoir choisi Omar Sy pour incarner le héros (sous prétexte que sa couleur de peau ne pouvait pas coller avec le personnage d’Arsène Lupin, voire même que c’était scandaleux de faire jouer un voleur à un Sénégalais…), car en effet, l’acteur incarne ici un jeune issu de l’immigration qui arrive en France et se retrouve confronté aux habituels conflits sociétaux français, et qui décide d’imiter son héros pour devenir un voleur suite à une drame concernant sa famille.
Partant de cela, on comprend au fil des premiers épisodes que la volonté d’adaptation sera plus subtile (c’est bien l’une des rares choses l’étant d’ailleurs) qu’une simple transposition du papier vers la pellicule, puisque de nombreux éléments du scénario font le même effort d’adaptation c
omme le fait d’utiliser les métiers d’aujourd’hui, dit « invisibles » (hommes d’entretien nocturne, livreurs Uber, techniciens des grandes entreprises…) comme déguisement lors de ses infiltrations, en utilisant la société française telle que nous la vivons tout les jours pour illustrer les techniques de vol ou d’intimidation lors de ces braquages (la menace de truquer un visage de façon réaliste pour salir quelqu’un de haut placé ou même la position des lanceurs d’alerte pour mettre en exécution son plan),
les créateurs de la série ont bien développé la transposition à la fois temporelle du personnage, lui offrant scénaristiquement une autre allure et d’autres enjeux que le gentleman cambrioleur qui évoluait dans une temps bien différent, et surtout dans la transposition de son univers.
La série parvient à semer tout au long des épisodes des éléments sous forme de références précises et documentés, bien qu’encore une fois, les ficelles paraissent souvent abusées
(il a beau être habile, il paraît compliqué de défaire des menottes d’un centre pénitencier comme un tour de magie, et peu de chance qu’elles soient truquées)
, le choix d’Etretat et son paysage unique comme décor d’une aventure (un épisode ici en l’occurrence), lieu mythique des aventures du héros et dont les reproches ont été légions sur le fait qu’aucune adaptation n’avait utilisé la falaise et sa célèbre aiguille creuse (connu dans le Monde surtout par l’œuvre de Maurice Leblanc), utilisant certaines aventures très précises pour illustrer la manière dont le personnage principal va parvenir à ses fins
(l’évasion d’une prison, le passager d’un train aux mauvaises attentions, un pseudo d’utilisateur de réseaux sociaux…).
Certains personnages clés trouvant aussi leur alter-égo ici (en particulier la Cagliostro ou Clarisse, les deux amours principaux du héros)
et même les origines et raisons qui l’ont poussé à devenir un cambrioleur à l’image de son héros favori, développé de manière parallèle via des flash-back de différentes époques de sa vie
, utilisent le contexte social de façon très intelligente mais toujours trop appuyé pour être mémorable. De ce fait, racisme de la société, opposition entre classes sociales, ultra numérisation de ce qui nous entoure ou encore la France des banlieues, tout cela est mis au service de l’adaptation (le racisme des plus riches subit dans son adolescence devenant la cible et motivation de ces larcins, encore existant de nos jours, remplacent parfaitement l’opposition entre socialisme et capitalisme dont le héros de Maurice Leblanc incarné le symbole dans une époque où ce fossé était un réel enjeu pour y raconter son histoire).
Alors bien évidement qu’on ne peut que saluer l’énergie que Omar Sy donne à ce personnage par son interprétation très enjouée, sachant aussi être dans l’émotion plus pure quand l’intrigue l’impose (surtout lors d’un épisode assez touchant), donnant une gouaille très plaisante au personnage et collant toujours autant au beau parleur qu’est le héros normand, et bien que Arsène Lupin soit un personnage plus ambiguë et moins marqué concernant la morale de ses actes (surtout concernant la gente féminine), le scénario parvient une fois de plus à déjouer le piège de l’adaptation bancale en faisant du personnage de Omar Sy un simple fan qui s’inspire de Lupin, ne lui imposant nullement d’avoir les mêmes travers que ce dernier. Pourtant les scénaristes parviennent à donner plus de relief au héros qui semblait pas assez nuancé jusqu’à la moitié de la saison
(d’ailleurs investi par le personnage de Clotilde Hesme, qui donne ainsi tout son sens à son personnage, devenant l’incarnation de la Comtesse Cagliostro, maîtresse mythique de Lupin)
. La relation mise en place avec son ex-femme, interprétée par Ludivine Sagnier, très convaincante dans la duo créé avec le personnage de Omar Sy qui est non seulement totalement crédible (celle-ci incarnant l’amour impossible de Lupin, Clarisse, autre intelligence d’adaptation), de part son naturel car elle dégage quelque de simple qui contrebalance bien avec l’explosivité de Omar Sy, mais surtout par cette alchimie qui semble évidente avec lui.
Ainsi, il semble évident que si l’adaptation est réussie, et d’autant plus en devenant l’élément clé de ce qui fonctionne dans cette série, c’est en puisant sans cesse dans la mythologie et l’univers de Arsène Lupin sans jamais à avoir être littéralement fidèle aux écrits de Maurice Leblanc, en utilisant de façon parcimonieuse l’hommage fait à l’œuvre tout en pouvant développer ses propres enjeux, sa propre histoire, ses propres références et surtout sa propre direction.
Proposant un rythme assez efficace, enchaînant facilement les péripéties étant donné que chaque épisode ayant son enjeu, qui comprend un ensemble d’enjeux à résoudre pour finalement totalement retourner la situation systématiquement, donnant non seulement ce sentiment qu’il se passe tout le temps quelque chose à l’écran mais surtout en poussant l’aspect référencé de la série dans sa structure même en traduisant l’adage qu’il faut se méfier des apparences, que « l’habit ne fait pas le moine et c’est le cas de le dire pour ce qui est de Lupin. Puis on sent bien une volonté d’avant tout divertir visuellement, de surprendre par les actes et l’habilité du héros sans que tout soit forcement cohérent et surtout en grossissant facilement le trait pour rendre plus lisible certain évènements. Pas toujours bienvenus et souvent de mauvais genre, il semble souvent que le hasard règle bien des situations et que certains événements sont résolus trop facilement et parfois même à la limite de crédible (l’épisode de la prison en regorge tout du long, et bien que cela tente parfois de ce justifier par quelques pirouettes, soit cela n’est pas toujours très clair, soit cela est vraiment trop aberrant,).
Le héros va indirectement mettre en danger sa famille pour parvenir à ses fins, ce qui paraît peut probable vu la relation préalablement présentée,
et le dernier épisode va jusqu’à se débarrasser du bon sens pour justifier le retour soudain d’un personnage dans l’intrigue (basant l’un des retournements de situation principal de la saison dessus) et met ainsi en lumière un défaut majeur de cette série, ce sont les facilités de développement du scénario.
De nombreuses résolutions semblent tomber comme miraculeusement, et si ce n’est pas le cas, soit on y croit pas vraiment
(la prison, la pendaison, la vente aux enchères, le système de sécurité du Louvre)
,soit certaines actions des différents protagonistes sont assez mauvaises
(le jeune flic qui fait le lien immédiatement avec Lupin, par contre quand il peut le prouver, le seul rôle de ses collègues sera de le contredire malgré les évidences plus crédibles qu’il leur soumet, faisant de ces différents personnages de simple élément de scénario)
. Le tout allant jusqu’à des situations risibles, à l’image de la scène des portraits robots frôlant l’amateurisme cinématographique, ou simplement à l’incohérence temporelles
pour commettre des vols chez de riches bourgeois parisiens racistes et qui depuis a développé une habilité et un sens du déguisement très efficace, dont il aura besoin cette fois pour assouvir une vengeance familial.
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A l’image de ficelles scénaristiques pas toujours très intelligentes, on ressent aussi un manque de conviction en ce qui concerne certains dialogues ou situations, particulièrement concernant les messages sociaux que la série tend à mettre en lumière, non pas que cela de mauvais goût étant donné que la société française fait partie intégrante des aventures de Arsène Lupin, mais le souci majeur reste évidemment que tout cela n’est du tout subtilement établi et usant des messages et symboles classiques (le sentiment de supériorité des classes riches parisiennes, l’opposition entre ville et banlieue, rejet de la différence, les racines et les origines…), mais le plus dérangeant reste que tout cela souvent complètement biaisé, (on dépeint une France des années 1980 toujours colonialiste à outrance), et quand on voit l’interprétation du père du jeune héros dans les flash-back parallèles, on est à la limite de la caricature, tout comme le personnage représentant la riche bourgeoisie parisienne, étant plus dans l’archétype de symbole de la richesse détestable et décadente.
Trop facile, bien trop gros, et pas toujours lisible en ce qui concerne des éléments essentiels du scénario introduit (surtout au sujet de ce qu’est vraiment le héros, soit un fan qui à l’idée de se venger à la manière de son personnage favori, soit un cambrioleur inspiré et expérimenté ?), tout semble exagéré à outrance afin de créer plus de poids aux messages disséminés dans le divertissement, sûrement par crainte que le public veuille avant tout une série haletante, prenante, quitte à mettre de côté logique, cohérent et crédible et plus profiter de ce qui se passe de spectaculaire à l’écran (l’effet « Tenet » serait-il en marche ? « Ne cherchez pas à comprendre, ressentez ! ») mais encore faut-il que cela soit de qualité suffisante pour dépasser les traits grossis de l’ensemble.
De ce côte là, rien d’alarmant mais pas de quoi crier au génie visuel non plus : l’ensemble de la mise en scène est assez classique, néanmoins très imprégnée du style de son réalisateur (pour les 3 premiers épisodes du moins), puisque Louis Leterrier est certes français, mais a fait tout ses films à Hollywood. Il est incontestable que l’on ressent un rythme et une image très prochent des productions d’action à la Besson (EuropaCorp ayant produit la saga « Le Transporteur » de Leterrier) qui sont bien sûr de purs produits de divertissement hollywoodiens mais apportant leur pierre frenchy à l’ensemble par l’humour, le rythme donné à l’action ou tout simplement les lieux choisis, ce qui se retrouve de manière évidente dans le début de la série, et cela fonctionne dans l’ensemble, bien qu’encore une fois, la subtilité ne soit pas le privilège du genre. Aucune prétention d’auteur d’ailleurs à ce niveau, le but est de faire de divertissent et ici ces passages font le travail, donnant une certaine intensité à ce qui se déroule et même si tout n’est pas toujours très bien amené, on se laisse facilement emporté dans le fil des évènements, par sa simplicité et sa manière de construire chaque épisode.
Le sentiment qui s’en dégage, et qui semble plaire d’ailleurs, c’est que l’ensemble ne donne pas l’impression de cinéma français, souvent décrié pour son manque de budget et d’originalité pour ce type de film, mais cela n’est pas tout à fait vrai, car ce qui fait que des films comme « Le Transporteur » ou « Insaisissables » fonctionnent et donnent ce sentiment d’être différent de ce que l’on voit habituellement, c’est justement parce qu’il sont traités avec les codes du cinéma hollywoodien tout en ayant une vision française, ce qui ce dégage clairement, sauf qu’ici le rendu technique n’a rien de fabuleux. Il suffit de voir le traitement fait de la seule scène utilisant les effets numériques pour illustrer un accident spectaculaire dans un monument parisien, complètement ratée et très mal mis en image, ceci étant la preuve que l’intention est là mais pas la qualité technique, d’autant plus qu’avec Netflix comme financier et producteur, cela semble encore plus incongru que la mauvaise qualité des effets visuels soient liés à une question de budget.
Que ce soit par le format et le rythme adopté ou par l’intelligence et l’originalité de la transposition du personnage d’Arsène Lupin, il y a de quoi trouver son compte. Il est indéniable que le divertissement fait son effet, emportant aisément l’attention, quitte à que le manque de cohérence et les traits de scénario grossis à l’excès soient flagrants, et ces premiers épisodes mettent en évidence que la volonté première n’est pas de s’adresser à une certaines élites intellectuelles et bien pensante (jugeant un œuvre sur des critères souvent bien loin de l’art à proprement parlé) mais plutôt à une tranche plus populaire appréciant le spectacle pour ce qu’il représente et ne cherchant pas à donner un sens anthropologique à tout ce qu’on lui propose. Sûrement la définition la plus juste de ce que représente la « pop culture », de ce qu’elle incarne dans l’imaginaire collectif (Charlie Chaplin est sûrement connu par plus de monde que Émile Zola de nos jours, cela ne signifie pas pour autant que les classes populaires sont plus stupides aujourd’hui), et de la manière de se l’approprier.