Après avoir écoulé des heures de plaisir à relire les romans qui composent le cycle de Sapkowski, je ne pouvais qu'espérer, en tant qu'immense fan, que les promesses faites dans la première saison soient tenues. Cette entrée en matière était certes imparfaite et maladroite, mais elle semblait se diriger avec l'humilité scénaristique requise et la justesse d'interprétation de ses acteurs, vers un futur radieux; et ce tant pour les adorateurs des livres que pour ceux des jeux du studio polonais CD-PROJEKT.
Mais bien souvent ces temps-ci, certaines franchises sont campées par l'imposture et le mauvais goût. C'est un fait. Et ce n'est pourtant pas un problème de budget : dans ce cas-ci comme dans beaucoup d'autres, l'enthousiasme des spectateurs désireux de voir une bonne adaptation ne suffit pas, et l'œuvre se mue en produit de consommation indigeste et bourrin.
L'ombre du mainstream destructeur que l'on connait aux producteurs portés par certaines plateformes s'est encore une fois abattue sur un chef d'œuvre de la fantasy.
Voici déjà venu le temps du mépris...
Quelle énorme blague de faire la promotion d'une telle saison en montrant sa figure de proue, Henry Cavill, initier les curieux aux écrits !
Cette saison est caricaturale à souhait, plus kitch que la première, mais pire encore, elle délaisse toute la cohérence avec l'intrigue des livres. Le cheminement narratif est pitoyable, et on se surprend souvent à ne plus rien reconnaître de la substance de The Witcher...
Il en va de même pour l'interprétation d'Anya Chalotra, qui détruit totalement le caractère d'un personnage qu'elle ne comprend pas (c'est plus frappant en VO). Plus nuancée dans la première saison, elle laissait connaître une version plus torturée, réservée de la Yennefer des livres. Mais dans les écrits, la désinvolture de la sorcière révélait une personnalité attachante et indiscernable, incarnant des sentiments profonds. L'actrice propose là une prestation exécrable d'une femme déséquilibrée, prétentieuse, stupide et détestable, qui frôle bien souvent le comique de geste. Mais la médiocrité de sa prestation n'amoindrit pas celle de la narration. Ces deux composantes du récit sont en fait totalement complémentaires.
Le "spectacle" des scènes de combat prévaut la cohérence de l'existence même de ces scènes au sein du récit, et pour sa continuité. On modifie drastiquement le destin de personnages phares de la saga pour les anéantir, et pire encore, on rend les actions de ceux qui s'y confrontent incompréhensibles, incohérentes, et, encore une fois, vraiment stupides.
Je fais notamment référence à la scène de confrontation entre Géralt, Vesemir et Eskel, sacrifié pour servir l' « epic plot » du Leschen outsider en monolith... oui...
Et comme si cela ne suffisait pas à couler le navire, la qualité graphique de ces scènes de combat est grandement revue à la baisse. C'est moins ambitieux, l'impact des coups et du tranchant ne se sent plus, et les chorégraphies impressionnantes qui contribuaient largement à la démonstration des compétences hors normes du personnage de Geralt dans la première saison sont polluées par des effets visuels hideux, et des mouvements de caméra parfois indistincts. Je ne peux pas m'empêcher de regretter à titre comparatif, les combats dans les trailers en cinématique pour The Witcher 2 et 3, dont ces scènes de la série tentent fébrilement de s'inspirer.
Seul Henry Cavill semble parvenir avec la meilleure volonté du monde à se dépêtrer de la merde scénaristique qui l'a aspiré, et entretient la crédibilité de son personnage. Dans le premier épisode, je trouve son interprétation très juste, et celle du personnage de
Nivellen par Kristofer Hivju
également. Cet épisode est l’exemple convenable dans la droite lignée de la première saison parce qu'il parvient à transcrire des idées intéressantes par sa mise en scène : grâce à des focales anamorphiques notamment, il raconte l’oppression, le malaise, l’incertitude. Le sound design permet également au spectateur de se repérer dans l'espace grâce à l’interactivité issue de The Witcher 3 dans l’imprégnation des sens de Geralt dans sa traque. En cela, l’ambiance générale de cet épisode est particulièrement convaincante et fidèle à celle de la nouvelle, au contraire du reste des épisodes.
Certaines intrigues des livres non exploitées comme celle de l’«Éclat de glace» du Tome 2, l’Épée de la Providence aurait donné tellement à voir...
Le triangle amoureux tel qu’il est pensé par Netflix en perd toute sa symbolique, sa poésie, et manque d’évoquer la complexité du sentiment qui devrait animer le personnage de Yennefer.
De la fuite avec Jaskier aux raisons bidons qu'elle donne à Geralt pour expliquer son geste, et la façon dont elle le fait... tant dans l'acting que dans le scripte, je trouve ça ridicule... (je n'ai pas mentionné les attitudes des autres acteurs : le cliffanger final avec Emhyr par exemple, si caricatural que j'en ai ri...).
Il est triste de constater que les acteurs font de leur mieux pour rester crédibles, mais ce n'est vraiment pas chose simple lorsque le scripte qu'on leur donne est mauvais. C'est pourquoi, mise à part pour le jeu d'Anya Chalotra, je ne m'avancerai pas sur la qualité générale du jeu d'acteur, mais plutôt sur l'attitude que ceux-ci revêtent.
Concernant l'identité esthétique recherchée pour la série :
D'abord, il y a les extérieurs minimalistes intramuraux qu'on ne prend apparemment, maintenant, même plus la peine de dissimuler. On en parle du temple de Melitele ambiance hôtel tunisien, ou des intérieurs vides d'Aretuza (quelle belle femme en flammes pour servir le propos contextuel de Stregobor) ? Des décors plus vides encore du palais de Cintra, autant dans les intérieurs que les extérieurs (l'enceinte ignoble des murs défensifs faits de pierres octogonales; c'est juste tout sauf crédible et esthétiquement beau) ?... et j'en passe.
Le manque de subtilité dans la composition des décors, dans leur agencement, s'éloigne de la minutie que l'on attend forcément d'une adaptation de ce calibre : les parchemins d'Istredd, par exemple, qui ne sont en fait que de simples feuilles trempées dans du café (ce n'est même pas une blague), sur lesquels on distingue encore les traces laissées par le processus, ont achevé de rendre cet univers improbable à mes yeux. À chacun ses méthodes et subterfuges, mais lorsqu'ils sont aussi voyants, on ne peut consciemment en faire abstraction.
Le respect absent de la diversité des méthodes dont disposent les witchers m’a autant, voire plus frustré : ces derniers ne consomment qu’un élixir lorsqu’ils affrontent un monstre, alors qu’ils sont censés composer chaque potion en fonction du bestiaire qu’ils construisent sur des décennies. Développer cet élément aurait été bien plus pertinent que de détailler des intrigues de remplacement, qui sacrifient la substance de la saga.
J'en viens maintenant à un des points les plus fâcheux qui n'a eu de cesse de me m'irriter : les costumes. En ce qui concerne les witchers, lorsque la saison démarre, on constate que le minimum syndical est accompli. Geralt se confectionne un nouveau pourpoint (assez classe cela dit), et mise à part Vesemir et Coën, qui jouissent d'une tenue de witcher standard, ses autres compères n'ont pas ce luxe (simple constatation d'un élément contextuel totalement défendable, je le reconnais). Mais le summum du mauvais goût arrive plus tard. Après deux ou trois épisodes, les mages, très secondaires, se parent de robes violettes, rouges, jaunes et vertes.
Et là vient l'une de mes principales interrogations : pourquoi s'obstiner à réinventer des codes qui ont déjà pu faire massivement l'unanimité auprès des joueurs pour la première interprétation visuelle à succès de l'univers ? En 2015, les teintes saphir, bordeaux, grenat, mauves ou bleu marine étaient plus prégnantes, et correspondaient bien mieux à l'ambiance "dark age" si chère aux fans et introduite dans la première saison. Elles étaient en accord avec la sémantique du récit d'un monde rongé par la guerre, la haine et la crainte des Hommes confinés dans leurs villes barricadées. Ces teintes ternes étaient toujours utilisées avec parcimonie pour signifier une ambiance ou un prestige particulier.
Comme la série n'a jamais récusé cette première interprétation pour s'en inspirer, pourquoi ne s'en inspire-t-elle pas davantage pour composer une imagerie qui aurait du sens ?
Je vais passer sur les nouvelles lentilles de Geralt... j'ai eu ma dose de kitch.
Dans la même veine, pourquoi fait-on le choix de perdre autant les spectateurs déjà familiers que ceux moins connaisseurs, en intégrant dans la progression d'un récit en totale émancipation des livres, des villes qui n'ont jamais été introduites auparavant ? Nous n'avons droit qu'à des vues zénithales dans des plans d'exposition à la manière de Game of Thrones, sauf qu'ici, aucune mention du nom du lieu n'est faite de manière suffisamment explicite dans les dialogues, quand ceux-ci n'en font tout simplement jamais mention.
Force est de préciser que la comparaison entre ces deux séries est cependant mal venue, tant elles s'éloignent l'une de l'autre en terme de qualité.
Même tenté d'imaginer qu'on puisse s'intéresser aux intrigues géopolitiques décousues et médiocres qui nous sont proposées, il semble impossible de se repérer dans cet espace gigantesque dont la répartition des territoires reste quand même assez complexe.
Ce manque d'intégration géographique cohérente requise est assez ironique, quand on sait qu'une bonne partie des spectateurs avaient été assez imperméables aux intrigues dépourvues de suffisamment de repères spatio-temporels dans un récit discontinu. Les ellipses régulières au cours de la première saison avaient aussi été relativement peu appréciée au global.
Selon la showrunner Lauren Schmidt Hissrich, dévier des livres de cette façon pour s'adapter au format sériel était une nécessité, car le troisième tome dont la saison s'inspire est un livre « set-up », qui fait beaucoup d'exposition et manque de dynamisme.
De mon point de vue, se défendre d'une adaptation fâcheuse en prétextant que l'adaptabilité du support d'origine en est la cause, c'est révélateur d'à quel point l'intérêt financier passe au-dessus de la qualité de l'œuvre (dieu que j'ai du mal à considérer cette série autrement qu'en produit mainstream de plus). Le fait d'avoir retiré à la narration les ellipses temporelles a déjà énormément réduit le potentiel narratif des livres, et un détachement plus prononcé encore de l'œuvre originelle dans les saisons qui suivront est à prévoir. Préparez-vous aux échanges encore plus ronflants, consensuels et soporifiques qui serviront à combler les creux dans l'intrigue et les blancs dans les dialogues.
Maintenant, je vais faire un disclaimer. Pour ceux qui n'ont pas lu les livres, je vous invite à vous rendre directement à l'avant-dernier paragraphe, car je vais m'adresser aux lecteurs de The Witcher (il y aura donc des spoilers). Cela n'altèrera d'aucune manière ma conclusion.
Il y a en effet certaines différences notables avec les livres qui, selon moi, dénaturent le personnage de Geralt dans la série et retirent la cohérence de la réalisation à la narration.
La première chose qui m'a sorti de la narration, c'est le changement de proximité du spectateur avec le personnage de Geralt. Pour moi cela jalonne drastiquement la relation de ce dernier avec sa pupille, Ciri. Je m'explique : dans les livres, tout comme dans la première saison, on restait plus souvent à hauteur d'homme afin de s'identifier au personnage et de le comprendre. On pouvait de ce fait mieux cerner ses motivations, car c'est un personnage nuancé, neutre, détesté par la masse des personnes qui croisent sa route (le fait de savoir qu'il est détesté alimente le mépris qu'il porte pour ces mêmes personnes). On avait là une sorte de cercle vicieux qui maintenait un tout cohérent avec cette neutralité exacerbée, la volonté de se détacher des intrigues dont il pense ne pas être concerné, pour leur bien commun à lui et Ciri et le maintien de l'esprit de "famille" au début de l'histoire. C'est d'ailleurs tout le propos du chapitre 5 du Sang des Elfes, qui narre le premier vrai affrontement avec les scoia'taels qui précède l'arrivée de Ciri au temple de Melitele. Comme Geralt a maintenant une idée vague de l'étendue des pouvoirs de Ciri, toute la portée spirituelle sera forcément mise de côté, et cela retire selon moi toute la crédibilité de la relation entre Geralt et Ciri. Enfin il a beau dire à Yarpen Zigrin à la fin de la saison 2 que « c'est sa fille », on a toujours l'impression qu'ils restent assez inconnus l'un de l'autre.
Je n'arrive donc plus à cerner l'attache qu'ont Geralt et Ciri, car les thématiques fortes de l'apprentissage spirituel de Ciri sont mises de côté dans la série au profit de son entraînement physique.
Je trouve dommage en règle générale de se rapprocher des perceptions de Geralt seulement lors de ses traques, comme dans celle de la brouxe du premier épisode que j'ai déjà évoquée.
Je vais donc faire référence à une autre scène : celle d'introduction du premier épisode, avec la caméra qui survole les restes de la bataille de Sodden. On est censé découvrir ces vestiges en même temps que Geralt et Ciri... pourquoi ne pas se placer à hauteur d'homme... Meilleur effet, moins de budget, effet moins "fake" car on n'est pas amené à repérer les aspérités visuelles. Je pinaille sûrement mais pour moi c'est assez représentatif de la manière qu'ont eu les producteurs de mettre l'accent sur le côté "spectaculaire" aux dépends de la narration et de la cohérence avec les livres.
Bon, maintenant je vais pinailler un peu plus !
La révélation de la supposée mort de Yennefer est aussi tellement moins puissante dans la série que dans les livres... Geralt devait l'apprendre en lisant son nom sur la liste des défunts après avoir acheminé sa route, guidé par la destinée, au sommet du mont Sodden.
L'un des vrais défauts de cette série c'est qu'on ne laisse pas assez le temps faire son œuvre, au contraire du livre, et le vrai challenge des personnages, dans les livres, c'est le temps qui passe, ironiquement, quand on sait que Yennefer et Geralt vieillissent moins rapidement que le commun des mortels. Les ellipses nous auraient permis de mieux comprendre cette base de la diégèse des livres. Parce que le vrai problème dans la première saison ce n'était pas les ellipses, mais bien les timelines différentes.
Au terme de mon visionnage, j'ai la sensation d'avoir regardé la pire adaptation qu'il était possible de réaliser. Et comme je n'ai jamais eu autant de difficultés à arriver à la fin d'une saison en « binge watching », je ne parviens pas à concevoir comment entretenir un visionnage quotidien (j'ai sérieusement voulu lâcher l'affaire dès l'apparition des décors désastreux du Temple de Melitele). La cohérence et la crédibilité de l'univers s'écroulent d'épisode en épisode dans un ramassis de mauvais goût, tant dans les décors et les VFX que dans la narration.
C'est désastreux et pathétique. Juste irrattrapable.
C'est pourquoi je trouve important d'alerter les personnes qui voudraient se voiler la face en faveur d'un tel contenu. Si vous prétendez aimer cette saga telle qu'elle a été pensée par Sapkowski et CD-PROJEKT, faites-vous à l'idée de ne pouvoir atteindre ce que vous désirez voir depuis ces quelques années d'espérance quant à cette série. Constater sa médiocrité sera cependant assez révélateur pour vous de l'incompétence des personnes derrière la production.
Pour les autres, qui chercheraient sur cette plateforme un énième divertissement sans âme à se mettre sous la dent, foncez. On vous le sert sur un plateau.
Mais personne ne pourra vous certifier qu'il est d’argent...