Dans le roman La Servante Écarlate (Handmaid's Tale, 1985), célébrissime dystopie, Margaret Atwood crée un monde dominé par une dictature puritaine basée à Boston, inspirée de la dictature coloniale dans le Massachusetts des Puritains au temps des Sorcières de Salem (1640-1700). Les 15 chapitres de 30 pages qui forment ce texte magnifique dévoilent peu à peu les lois, les horreurs, les règles, les catégories de femmes qui constituent la société totalitaire totalement artificielle de Gilead (nom du nouvel état américain recouvrant apparemment les USA moins l'Alaska et Hawaï) qu'on rapproche évidemment des dictatures connues dans le passé ou, hélas, dans le présent.
Peu à peu, d'un chapitre à l'autre, on se rend compte comment cette tyrannie ultramachiste prend sa source dans la Nouvelle-Angleterre puritaine du dix-septième siècle, celle des Sorcières de Salem. C'est cette progression et l'économie de moyens des courts chapitres sans affects aucun qui rendent le roman puissant comme une série de coups de poings qui nous font réfléchir à la fragilité de la démocratie et de l'égalité, relative, que nous avons acquise.
C'est parce que nous imaginons nous même notre propre Gilead que nous avançons dans la critique du système, de son histoire, de son devenir. De la même façon notre sympathie avec l'héroïne June-Offred se construit progressivement et se solidifie de cette progression.
La saison 1 de la série de 2016-2017, produite et aussi orientée par Elisabeth Moss qui joue le rôle principal, n'a évidemment cette progression puisqu'on voit immédiatement les costumes, les places relatives des individus : servantes (écarlates) qui doivent procréer pour les commandeurs qui dirigent le pays à coup de citations de la bible et leurs épouses (bleues) - couples stériles, probablement en raison de la pollution - , cuisinières-femmes de chambre (marron), tantes qui encadrent les servantes, éconofemmes (en gris) qui travaillent dans la pauvreté, jezabels prostituées, antifemmes reléguées dans les camps de concentration des colonies où elles meurent de travailler dans les terres souillées par les déchets toxiques. Cette réalité que, en lisant, nous avions construites dans notre imagination en nous appuyant sur les totalitarismes connus, nous enferme immédiatement dans l'image de la série.
Pour ma part, je voyais l’héroïne plus jeunes et le couple dirigeant plus âgé, moins cultivé mais aussi moins bête.
C'est évidemment décevant, comme souvent les adaptations, mais au bout les 11 épisodes de 55 min on en vient à penser que cette saison 1 laisse l'histoire du roman intacte et enrichit le livres d'histoires précises, de catastrophes diverses mais aussi de nouveaux espoirs.
Cette extension du roman est contrôlé étroitement par Margaret Atwood, c'est sans doute l'intervention directe de l'auteur qui rend cet "enrichissement" du roman cohérent et, en définitive, totalement fascinant.
On relit le roman, après la saison 1, d'un autre œil.
L'impression de la saison 2 est différente : elle se situe après la fin du roman et développe une nouvelle façon de voir Gilead, plus centrée sur la maternité, plus humaine peut-être, quelque part moins politique. Elle donne aussi plus d'espoir aussi, sauf le premier épisode des 13.
On verra à partir de juin 2019 comment les auteurs se débrouillent d'une saison 3 sans trop tirer à la ligne et surtout à partir de septembre 19 on aura accès (en anglais dans un premier temps) au second tome qui constitue la vraie suite que vient d'écrire Margaret Atwood.
Le tout nous amène à approfondir la réflexion politique sur les fondamentalismes religieux de tous les pays, les évangélistes, le tea party, le klan, Trump et son entourage bien sûr mais aussi Bolsonaro, Orban, l'extrême droite européene etc.
Quelle force peut barrer la progression des fondamentalistes anti-féministes et comment l’organiser ?
Inutile de répéter à quel point tous les acteurs sont extraordinaires et extraordinairement attachant (ce qui pose problèmes d'ailleurs pour les agents de la dictature) et à quel point cette série est bien réalisée (costume, mise en scène, images, décors intérieurs et naturels). On l'a beaucoup dit mais ce n'est pas l'essentiel.
Attention : évidemment de nombreuses scènes sont terribles.