Sharp Objects est l’adaptation du premier roman éponyme de Gillian Flynn, paru en 2006 aux Etats-Unis, puis deux ans plus tard en France sous le titre "Sur ma peau". L’auteure, à qui l’on doit également Dark Places ("Les Lieux sombres") et Gone Girl ("Les Apparences"), tous deux respectivement adaptés au cinéma par Gilles Paquet-Brenner et David Fincher, a participé à l’écriture des huit épisodes et est également créditée comme productrice déléguée de la série.
Au départ, le roman de Gillian Flynn devait être adapté en un long-métrage, avec Andrea Arnold à la réalisation. Celle-ci a finalement laissé tomber le projet au profit de la deuxième saison de Big Little Lies. Marti Noxon a alors réussi à convaincre la production qu’un format sériel serait plus approprié. Le producteur Jason Blum, qui détenait les droits du livre, a notamment changé d’avis après avoir visionné UnREAL, autre série grinçante de la showrunner.
Fan de l’oeuvre de Gillian Flynn, Amy Adams avait auditionné pour le rôle principal de Dark Places, finalement attribué à Charlize Theron. Quelques années plus tard, l’actrice obtient celui de Janis Joplin, dans un biopic de Jean-Marc Vallée, intitulé Get It While You Can. Alors que le projet est abandonné, Amy Adams envoie au réalisateur un exemplaire de Sharp Objects, et ce dernier se retrouve séduit par l’histoire. "Dans Sharp Objects, comme dans Big Little Lies d’ailleurs, le meurtre est secondaire. Ce dont on parle ici, c’est de briser le cercle vicieux d’abus émotionnels, de la manière dont nous éduquons nos enfants et dont nous échouons. Je n’avais jamais croisé un personnage comme Camille. Ce projet m’a effrayé.", raconte le canadien.
"Sharp Objects" signifie "Objets Pointus", ce qui fait référence à ce que Camille utilise pour s’automutiler. En ce sens, les titres de chaque épisode correspondent aux mots qu’elle grave dans sa chair.
L’enquête menée par Camille Preaker évoque celle de Rust Cohle et Martin Hart dans la première saison de True Detective, autre série de HBO dont Sharp Objects partage la poésie mélancolique, l’atmosphère pesante, les meurtres morbides et les héros torturés. A cette comparaison, la showrunner Marti Noxon réplique : "J’adore le côté sudiste de True Detective et ses qualités cinématographiques… Mais c’est une série très masculine. Et l’une des choses dont je suis la plus fière concernant mon travail, et notamment dans le cas de Sharp Objects, c’est la façon dont nous tous, y compris Jean-Marc [Vallée], avons apporté une qualité très féminine à tout ça."
Amy Adams a convaincu Jean-Marc Vallée de rencontrer Chris Messina, dont elle avait interprété l’épouse dans Julie & Julia en 2009, pour le rôle du détective Richard Willis. "Je suis arrivé et j’ai lu le scénario, mais rien n’était joué. Amy a vraiment insisté pour que j’obtienne le rôle. Je pense qu’elle voulait quelqu’un à ses côtés - et je n’étais pas le seul - en qui elle avait confiance et avec qui elle se sentait à l’aise, lorsqu’elle devait explorer des recoins très sombres.", explique le comédien.
Pour son premier rôle régulier à la télévision, Amy Adams a choisi un personnage sombre et complexe, parfois difficile à vivre, comme elle le raconte : "Il y a certaines scènes entre Camille et Adora (Patricia Clarkson) où je me sentais souvent nauséeuse. (…) Parfois, j’avais besoin de quitter une scène et d’aller pleurer un peu dans mon coin. (rires) Juste pour que ça sorte." Afin de rentrer dans la peau de Camille Preaker, Amy Adams a accepté de prendre du poids et de dévoiler ses imperfections. Grâce à des prothèses en silicone, qui prenaient entre deux et quatre heures et demie à poser, les cicatrices de son personnage étaient gravées dans sa chair. "C’était un sacré exercice de vulnérabilité parce que je devais rester debout, quasi nue, les bras et les cuisses écartés, pendant qu’on me les mettait. Ca m’a aidée en fait, parce qu’on ne peut pas échapper à son corps. On est super focalisé dessus.", se souvient-elle.
Maintes fois, on a répété à la romancière Gillian Flynn, que son premier manuscrit était bien trop sombre pour être publié. Même discours lorsqu’elle se met ensuite en tête d’adapter son livre en scénario, jusqu’à sa rencontre avec Marti Noxon. Cette dernière a également expliqué devoir aller au combat, de nos jours encore, pour imposer aux diffuseurs des personnages féminins qui sortent des sentiers battus et se battre, aussi, pour obtenir des campagnes de marketing aussi agressives que celles que les studios organisent autour de séries emmenées par un personnage principal masculin. "En tant que scénariste se focalisant sur ce qui touche les femmes, pour moi, il y a quelque chose de très féministe dans le faire de dire que les femmes sont juste des êtres humains et sont, par conséquent, aussi capables de violence. Ces pulsions ne sont pas réservées aux hommes.", déclare la productrice.
Marti Noxon a révélé que la collaboration avec Jean-Marc Vallée n’a pas toujours été évidente, notamment au sujet de la langue anglaise et de la sensibilité du cinéaste québécois : "Jean-Marc est de Montréal et il ne partage pas le même amour de la langue anglaise que moi ou Gillian [Flynn]. Il est plus intéressé par le langage visuel, raconter des histoires grâce aux images et il est très doué pour ça. Je le comprends parfaitement maintenant, j’apprends de plus en plus en tant que réalisatrice, mais je reste passionnée par le langage. J’ai étudié le théâtre avant de devenir écrivain, et la beauté du langage, particulièrement dans sa tradition Southern Gothic, est très importante pour moi. Je n’arrêtais pas de lui parler de La Nuit du chasseur [réalisé par Charles Laughton en 1955] mais il ne voulait pas m’écouter ! (rires)"
Jean-Marc Vallée use d’une grammaire visuelle afin de transposer à l’écran la relation que l’héroïne entretient avec les mots. Ainsi, 74 d’entre eux sont cachés dans la série. "Imaginez une scène où Camille monte en voiture. On observe d’abord un véhicule ordinaire - ce que verrait un passant - mais lorsque la caméra adopte le point de vue de Camille, apparaît sur le capot le temps de quelques images le mot ‘sale’. Il va revenir plus longuement dans d’autres séquences et devenir lisible.", dévoile le réalisateur.
Très ouverte concernant ses problèmes d’anorexie et d’alcoolisme, Marti Noxon considère Sharp Objects comme le "bouquet final" de sa self-harm trilogy ("trilogie d’automutilation"), qui comprend également To the Bone et Dietland : "Je vois ça comme une sorte de continuité. (…) Je me battais pour être de nouveau sobre lorsque j’ai écrit la série. Certaines choses que j’ai ajouté par rapport au roman ont été directement inspirées par ce que j’ai vécu."
La ville fictive de Wind Gap,(nommée d’après un borough de Pennsylvanie), dans le Missouri, est un personnage à part entière de la série. Jean-Marc Vallée a ainsi fait beaucoup de recherches afin de trouver la bonne tonalité. La maison d’époque victorienne où Camille a grandi se trouve dans le nord de la Californie, tandis que les décors intérieurs ont été reconstitués dans des studios à Los Angeles. Le reste des extérieurs ont été tournés dans le sud de la Californie, ainsi qu’en Georgie.
Un an après ses débuts remarqués à la télévision avec Big Little Lies, emmenée par un casting féminin cinq étoiles, Jean-Marc Vallée dirige un nouveau duel de comédiennes, entre Amy Adams et Patricia Clarkson. "Je suis juste moi-même, je n’essaye pas de suranalyser. Il se trouve que ces projets présentent des personnages féminins, mais homme ou femme, je m’identifie. Je suppose que je n’ai pas peur d’aller sur ce terrain. (…) Et j’adore être entouré de toutes ces grandes actrices !", déclare le réalisateur à ce sujet.
A 19 ans, l’australienne Eliza Scanlen s’exporte pour la première fois aux Etats-Unis, grâce au rôle d’Amma, demi-soeur manipulatrice de Camille. La comédienne en herbe se retrouve alors face à Patricia Clarkson et Amy Adams, toutes deux nommées aux Oscars.