Blade Runner est sorti il y a 36 ans. Cela signifie donc qu'il y a la même distance entre Blade Runner et les films/séries de SF d'aujourd'hui qu'entre Blade Runner et les films/séries de 1946. Et quand on voit l'énorme évolution visuelle entre la SF de 1946 et celle de 1982 et qu'on regarde l'évolution entre 1982 et aujourd'hui, on se dit qu'on a vraiment abandonné toute ambition créative.
Depuis 36 ans, quasiment plus aucun réalisateur de SF n'essaye d'être visuellement créatif. Au lieu de ça, on les juge à leur capacité d'être des bons ou des mauvais copieurs. De Blade Runner principalement, et de quelques autres rares films.
En très grand admirateur du chef-d'oeuvre de Ridley Scott (c'est mon film préféré), pendant pas mal de temps, de nombreuses années, je reprochais aux films voulant copier son ambiance visuelle de ne pas réussir car ils faisaient quelque chose de trop propre, trop lisse. Pour la première fois, avec Altered Carbon, j'ai l'impression que ses réalisateurs ont enfin réussi à retrouver cette ambiance visuelle. Seulement voilà, 35 ans ont passé. C'est beaucoup trop tard. Je m'aperçois que ce que j'aimerais plutôt maintenant, c'est une œuvre de SF qui apporte sa propre nouvelle ambiance visuelle.
Surtout que, si visuellement la copie est réussie, il lui manque un élément essentiel : la tristesse. Ce désespoir existentiel qui imprégnait chaque plan, chaque personnage du film de Scott. Dans Altered Carbon, le désespoir a été remplacé par le triptyque habituel "sexe/violence/langage grossier". Mais on devine que les publicitaires pensent que ce triptyque est sans doute plus approprié pour attirer le public adolescent et post-ado qu'un questionnement métaphysique trop compliqué.
Comme Blade Runner, Altered Carbon tourne autour d'une enquête policière et d'une invention technologique. Les réplicants pour Blade Runner, une pile qui copie la conscience dans Altered Carbon. Sauf que dans Blade Runner, cette enquête aboutissait à se poser des questions métaphysiques sur cette invention et effaçait tout manichéisme de l'équation.
Ici, l'enquête policière ne présente pas le moindre intérêt, et le manichéisme est son principal fil conducteur. Ce sera le gentil héros badass et ses gentils copains contre les méchants riches et leurs méchants sbires. Tous les personnages n'étant qu'une galerie de clichés déjà-vu des milliers de fois, sans la moindre nuance. Mention spéciale à la "grande méchante" qu'on découvre dans les derniers épisodes, on en a rarement vu d'aussi caricaturale depuis longtemps, on se croirait dans un dessin-animé pour enfant. Et comme dans un dessin-animé pour enfant, ne vous inquiétez pas, à la fin les gentils gagnent et les méchants sont punis.
L'invention technologique, la copie de la conscience dans un appareil qui peut changer de corps rendant cette conscience immortelle, était une très bonne idée (déjà vue dans l'excellente Doll House de Joss Weddon). Il y aurait eu matière à de nombreux développements, par exemple à des questionnements au niveau de ce qu'est notre identité. Ainsi, à un moment, le personnage principal a deux copies de lui-même. Très vite, ces ceux copies s'autonomisent et on voit donc qu'ils sont deux personnages différents. Mais du coup, si ces deux copies donnent deux êtres différents, alors est-ce que cela ne veut pas aussi dire que, quand il n'y a qu'une seule copie, alors cette copie est aussi un être différent de l'original qui est copié ? Et donc, la conscience originale n'est pas du tout immortelle, elle meurt bien, c'est une nouvelle conscience qui nait dans chaque copie.
Mais cette question ne sera bien sûr pas abordée. La seule réflexion dans cette série concernant la copie des consciences, c'est que ça permet aux méchants riches d'être immortels, donc de perpétuer éternellement leur pouvoir et de faire d'eux des dieux. Ce qui est d'ailleurs totalement contredit par l'intrigue puisqu'on voit qu'ils n'ont pas plus de pouvoirs que les grands bourgeois de notre époque, qu'ils sont soumis aux lois et peuvent être arrêtés par la police et mis en prison. Malgré tout leur argent et leur influence, ils ont moins de pouvoir qu'un tout petit seigneur de l'antiquité ayant droit de vie ou de mort sur ses esclaves.
D'ailleurs, si ces riches n'ont pas plus de pouvoir que les riches de notre époque, c'est à l'image de l'ensemble de ce futur censé se dérouler dans plusieurs siècles. Il ne faut pas s'attendre à la moindre créativité, c'est la réplique exacte de notre début du 21ème siècle. Les mêmes structures politiques, les mêmes structures sociales, les mêmes structures économiques, les mêmes loisirs, la même police : c'est la copie conforme de notre monde mais avec un visuel plus futuriste, c'est tout.
Allez, je serai généreux, je mets quand même la moyenne à cause de deux ou trois trucs qui m'ont plût : d'abord c'est visuellement joli, ensuite la série aborde le rapport entre la religion et cette invention technologique sans être anti-religieux comme c'est habituellement le cas dans ce genre de série, enfin j'aime bien Joel Kinnaman même si ici il roule un peu trop les mécaniques.
Mais bon, ce n'est quand même pas terrible du tout.