Rien à faire, Barry Berkman ne parvient pas à trouver le bonheur. Pourtant, qu’ils étaient grands les espoirs nés du jour où, par mégarde, il s’était trouvé parachuté sur les planches d’une scène de théâtre amateur et de son metteur en scène passionné, Gene Cousineau ! L’idée de changer de voie professionnelle s’était imposée à lui comme une évidence. Elle devenait un espoir d’ouverture à l’autre et d’extériorisation de ses sentiments. Malheureusement, toutes les reconversions ne se font pas en un claquement de doigts. Surtout quand on a été Marine et que l’on souffre de syndrome post-traumatique ; que l’on gagne sa vie en tant que tueur à gage sans que cela n’induise de sentiment de culpabilité ; que l’on est incapable d’éprouver la moindre empathie pour ses victimes... Mais de tout cela, Barry ne veut plus… Car en plus de réactiver des souvenirs qui ne l’aident pas à surmonter ses troubles, tuer à tours de bras des inconnus peut s’avérer lassant. Il faudra toutefois qu’il échoue à honorer un des contrats que son « ami » Fuches lui avait déniché près de Los Angeles pour que celui-ci envisage enfin de laisser cette vie de violence derrière lui. Certes, il apprécie le confort de sa chambre dans laquelle il aime passer son temps libre. Elle le protège d’un monde dont les codes relationnels lui échappent désormais. Mais ce faisant, Barry ne cesse de bâtir sa propre prison. Et comme tout art, le théâtre, c’est l’évasion. Cependant, rompre le contrat moral de son association avec Fuches s’annonce délicat. D’autant plus qu’en omettant de tuer l’amant de la femme d’un chef de gang tchétchène, le voilà maintenant avec la mafia sur le dos…
Inutile d’y aller par quatre chemins : les deux premières saisons de la série réalisée et interprétée par Bill Hader, un ancien du Saturday Night Live, étaient absolument formidables d’inventivité. Et la troisième n’échappe pas à la règle. En dehors d’un scénario qui n’a jusqu’à présent dévoilé aucune faille, la force principale de cette série tient essentiellement aux multiples tonalités qui la composent. En effet, s’il ne suffit pas de mélanger des ingrédients raffinés pour élaborer un mets délicieux, il est indéniable que la complémentarité de ses composants et la minutie de leur dosage ont fait de « Barry » une œuvre inclassable et jubilatoire.
Premier élément : la violence. Barry n’est clairement pas un saint et son professionnalisme est en revanche exemplaire. De plus, les énergumènes auxquels il se confronte ont eux aussi la gâchette facile. Pour contrebalancer ce qui aurait pu n’être qu’une banale histoire de gros bras et de règlements de compte, Hader incorpore dans son récit un humour à la hauteur du pouvoir comique de son meilleur représentant : Hono Hank. Imaginez en effet un chef de gang tchétchène apprêté, excentrique, frimeur, bavard, douillet, trouillard et éperdument amoureux de Cristobal, le chef du clan colombien ennemi avec qui il vit une idylle aussi tendre que désopilante, et vous obtiendrez une idée assez précise de ce que ce personnage atypique vous fera vivre. Grâce à lui, vous saurez quelle application utiliser si vous projetez de faire exploser une bombe à distance. Pratique non ? Sauf si celle-ci connaît des défaillances. Là, il faudra contacter le service clients... Cependant, si Hono incarne magnifiquement la drôlerie décalée dont la série tient à se doter, il n’en est pas le seul dépositaire et dans ce registre, la roublardise couarde de Fuches fait elle aussi des ravages !
A ce stade, on peut arguer que des productions alliant violence et humour sont légions et que l’emploi de cette combinaison semble insuffisant pour crier au génie. Oui, mais « Barry », c’est également une mise en scène aux petits oignons. Il faut dire que la diversité des ambiances et des situations favorise l’utilisation de nombreux codes cinématographiques. Hader use de plans larges lorsque les grands espaces s’avèrent idéals pour abattre un quidam en toute impunité ; il resserre outrageusement son cadrage afin de traquer la détresse dans les yeux de celui qui cherche à savoir si on l’aime… De même, il suffit d’une course poursuite en moto sur l’autoroute pour s’assurer qu’il maîtrise efficacement la manière de filmer des scènes d’action. Il se permet même d’y apposer sa signature en incorporant un élément sonore désopilant sans lequel « Barry » ne serait pas tout à fait « Barry ». Enfin, là où Hader se surpasse, c’est lorsqu’il s’agit de mettre en scène des situations burlesques en superposant plusieurs événements indépendants dans un espace défini par le cadre immobile de la caméra. Ainsi, au premier plan, une femme annonce à son amoureuse incrédule qu’elle la quitte parce qu’elle a trop de chiens tandis qu’en arrière plan, Gene Cousineau, apparemment paniqué, traverse l’écran à toutes enjambées. La conversation se poursuit ensuite avec le plus grand sérieux pendant que déboule soudainement une procession ininterrompue et grotesque de chiens de toutes tailles, visiblement désireux de faire la connaissance du fuyard. Ça pourrait être du Chaplin. C’est du Bill Hader. Quant à l’épisode « Ronny/Lily », autant ne rien en dire et laisser le spectateur découvrir par lui-même cet immense moment de parenthèse « tarantinesque », condensé explosif du talent de réalisateur de son auteur et de la folie narrative qui l’anime.
Vous l’avez donc compris, Barry est une série aussi drôle que violente. Mais elle se paie en plus le luxe de nous offrir une description corrosive du monde du spectacle. Et c’est l’esprit communautaire et nombriliste du milieu théâtral qui aura la primeur en la personne de Gene Cousineau (formidable Henry Winckler!). Certes, cet énergumène ne représente qu’un simple échantillon de ce que peut être un professeur d’art dramatique, mais il n’en est pas moins un représentant tout à fait plausible. Tombé en disgrâce au sein même de son institution en raison d’un caractère épouvantable, cet ancien acteur aime asséner ses diatribes quasi-mystiques à des étudiants prêts à boire ses paroles comme le feraient des fidèles devant leur messie. Et à l’écouter ainsi, difficile de déterminer si on a affaire à un escroc, à un gourou ou à un formidable metteur en scène. Sans doute un peu de tout cela… Non seulement il plume sans vergogne des élèves aveuglés par les lumières prometteuses d’Hollywood mais il adopte aussi à leur égard une attitude souvent odieuse, n’hésitant pas à les pousser à bout dans le but de leur soutirer la quintessence d’émotions profondément enfouies. Quitte à les violenter psychologiquement. Indéniablement, cela sent le vécu car Hader n’a pas pu inventer de telles situations sans les avoir un minimum connues lui-même. Au final, en immergeant le spectateur au cœur de ces séances de « travail » truffées de dialogues magnifiquement écrits, Hader nous interpelle sur la nature même du métier de comédien. Au travers de ce prisme réflexif, ces séquences nous apparaissent alors aussi passionnantes que cruelles, grotesques et drôles !
Puis, par l’intermédiaire de Sally (la femme dont Barry est amoureux), c’est le merveilleux monde de la télé qui est passé au crible. Et c’est peu dire que le traitement que Hader lui réserve n’est pas empreint de la même indulgence (car malgré tout, il transparaît une forme de bienveillance pour ce que Gene Cousineau représente). Animé d’une ambiance apparemment « cool » et ouverte d’esprit, celui-ci se révèle peuplé d’une faune qui ne jure que par l’argent et le buzz. Tous les coups sont permis et il semble monnaie courante de passer en quelques tweets du statut de star potentielle à celui d’éternel(le) anonyme. Ce regard plus que caustique sur l’industrie cinématographique fait écho à la magnifique « Bojack Horseman » qui ne cessait d’en dénoncer ses travers.
Sur ce plan, il est étonnant de constater qu’il existe de nombreuses accointances entre ces deux chefs-d’œuvre, à commencer par certaines caractéristiques de leur anti-héros. En effet, de la même manière que Bojack luttait contre ses démons pour attirer à lui l’amour des autres, Barry ne cherche pas autre chose que de devenir quelqu’un de bien. Il serait prêt à tuer pour cela. De fait, son besoin obsessionnel d’obtenir le pardon de ceux qu’il entraîne dans son sillage mortel ressemble à s’y méprendre à celui qu’éprouvait Bojack. Ils ont ainsi en commun de procurer chez le spectateur une empathie que leurs actes, pour le moins répréhensibles, devraient normalement réprimer. On se prend malgré tout à aimer Barry, mais sa détresse émeut autant qu’elle effraie. Des émotions que Gene et Sally ont l’habitude de ressentir à son contact et qui sont loin de nous laisser indifférent(e)s. De fait, on en vient à espérer que cet homme en quête d’amour et de rédemption ne suive pas le même chemin que celui du célèbre canasson névrosé. Mais à porter quotidiennement les fardeaux que la vie leur a injustement attribués, existe-t-il possiblement d’autres voies que celles de l’éternelle solitude ?
Disponible sur OCS
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