Critique des saisons 1 à 4 (contrairement à ce qui a été annoncé la série va continuer, mais sans son producteur historique Sky qui met un terme à ses activités fictionnelles).
BABYLON BERLIN est une série librement adaptée des romans policiers de Volker Kutscher, première œuvre sérielle de fiction évoquant la période précédant le Nazisme en Allemagne. Dans un premier temps, elle se laisse mériter : la scène qui tient lieu de prologue est accrocheuse, avec du suspense et une atmosphère énigmatique, mais par la suite, la complexité de l'intrigue, mêlant politique et affaires de mœurs, perd un peu le spectateur, d'autant que les ramifications entre les personnages sont complexes.
Néanmoins, on finit par "entrer dedans" et on s'attache très vite à ses deux principaux protagonistes : Charlotte Ritter (Liv Lisa Fries), sténotypiste issue de la misère la plus noire, qui vend ses services à la préfecture de police et occasionnellement son corps dans les sous-sols du Moka Efti, une boîte de nuit branchée de Berlin ; sa force de volonté et son sens de la justice en font un personnage éminemment sympathique. Gereon Rath (Volker Bruch), commissaire de police récemment muté de sa Cologne natale, est un personnage plus trouble mais touchant lorsqu'il dévoile son talon d'Achille : un syndrome post-traumatique qu'il traîne depuis son passage sur le Front de la Guerre de 14-18 et un complexe d'infériorité vis à vis de son frère aîné disparu sur le Champ d'Honneur.
Une des grandes qualités de BABYLON BERLIN est d'avoir réuni un casting de comédiens capables d'apporter une plus-value à leurs personnages : aucun ne se résume à une fonction, et même quand cela pourrait être le cas, il y a chez chacun une épaisseur ou une touche spéciale qui le rend crédible. On dit que le succès d'une série se mesure notamment grâce au degré de réussite de ses méchants. Et ici un soin particulier est apporté aux "gueules" et aux "méchants", interprétés par des acteurs charismatiques : de la nonchalance débonnaire mais trompeuse de Bruno Wolter (Peter Kurth) à la folie latente d'Alfred Nyssen (Lars Eidinger), de la douceur affectée du Docteur Schmidt (Jens Arzer) à la froideur glaçante de Wendt (Benno Fürmann), ou de la puissance brute de Walter Weintraub (Ronald Zehrfeld) au raffinement de l'Arménien (Mišel Matičević), qui dissimule un penchant pour les mises en scène sadiques, sans oublier l’androgyne femme fatale "la Sorokina" (Severija Janušauskaitė) et les "méchants" secondaires qu'on ne peut pas tous citer.
Ensuite, sa reconstitution minutieuse des Années Folles et l'élégance de sa mise en scène en font la série la plus chère produite pour la télévision allemande à ce jour. La qualité du travail des départements décors, costumes et maquillage se remarque par des petits détails, comme les poils sous les bras ou l'absence de maquillage des femmes (seules les femmes "de mauvaise vie" en portaient à l'époque). On voit aussi la garde-robe de Charlotte s'étoffer au fur et à mesure qu'elle progresse dans l'échelle sociale. Outre les décors faits-mains, d'importants effets spéciaux ont été mis en œuvre pour reconstituer un Berlin disparu dans les bombardements de 1945, donnant à voir des images fascinantes. Un des lieux les plus étonnants de la série est le Moka Efti ; je ne suis spécialiste ni en architecture ni en histoire du show-bizz, mais il se dégage quelque chose de si moderne de ce lieu de plaisir, de spectacle et de danse que je soupçonne les metteurs en scène d'avoir intégré des éléments anachroniques pour mieux souligner le côté avant-gardiste de cet endroit. Le spectacle de Nikoros (première saison) est à cet égard stupéfiant.
Ce qui m'amène à parler de la musique. La bande-originale de Johnny Klimek et Tom Tykwer est excellente, non seulement le thème du générique, dont les sonorités dérangeantes et l'aspect psychédélique de celui-ci mettent le spectateur dans le ton, mais toutes les musiques de la série, qui deviennent de plus en plus variées au fil des saisons. Il y a également une chanson associée à chacune. Si "Wir sind uns lang verloren gegangen" (saison 3) et "Ein Tag wie Gold" (saison 4) sont entraînantes, la plus emblématique reste pour moi la première (les saisons 1 et 2, conçues ensemble, comptent pour une), "Zu Asche, zu Staub", la chanson de Nikoros évoquée plus haut, qui est à l'image de la série, à la fois séduisante et un poil malaisante. À noter que tous les acteurs et actrices dont les personnages chantent le font sans doublage.
Trois réalisateurs se partagent la mise en scène du début jusqu'à la fin de la série, et pas des moindres : Tom Tykwer (réalisateur du PARFUM et de CLOUD ATLAS, co-réalisé avec les Wachowski), Achim Von Borries (PARFUM D'ABSINTHE avec Daniel Brühl et August Diehl) et Henk Handloegten (scénariste de GOOD BYE LENIN!). Sans pour autant pouvoir définir qui a réalisé quels épisodes, on sent qu'il y a une vraie "patte d'auteurs" dans cette série, et l'on peut compter de nombreux clins d'œil cinéphiles, hommage au cinéma des années 1920 : des jeux d'ombre façon films noirs aux décors expressionnistes du tournage dans la saison 3, de Fritz Lang et Marlene Dietrich à Lotte Reiniger (très belle scène animée en ombres chinoises dans la saison 4).
Bien sûr il n'y a pas de série parfaite et je déplore un peu que BABYLON BERLIN tombe parfois, comme beaucoup de ses consœurs, dans la surenchère émotionnelle, quitte à commettre des invraisemblances (
la noyade et la réanimation de Charlotte, saison 2, trop étirée pour être crédible ; Gereon qui se rompt les côtes et casse la figure à Nyssen quelques jours plus tard, saison 3
). Plus la série avance, plus les personnages à suivre sont nombreux, en dépit de la mort de certains, et de ce fait certains personnages secondaires attachants sont un peu laissés pour compte (
je trouve carrément impensable qu'en saison 4 Gereon ne pense même pas à prévenir Helga que Moritz a été placé en détention provisoire, ils sont fâchés mais c'est tout de même sa mère !
). Le plus frustrant est l'intrigue autour du Docteur Schmidt. L'aura de mystère qui entoure son personnage dans les deux premières saisons était justifiée, étant donné le twist du dernier épisode. Mais par la suite, ses apparitions sporadiques deviennent de façon mécanique le moment "attention personnage mystérieux" où les intentions sont surlignées à l'excès, alors que ce personnage pourrait être extrêmement intéressant à suivre (
son obsession de l'Homme-machine ouvre tout un champs d'hypothèses autour de son passé et de l'impact de celui-ci sur sa psychologie
).
Malgré ces réserves, BABYLON BERLIN reste une série agréable à suivre, pour toutes les raisons évoquées plus haut, et parce qu'elle permet une plongée passionnante dans le Berlin de l'entre-deux guerres, permettant de comprendre le contexte social et politique qui a mené à l'avènement du Nazisme.