Les Dix Petits Nègres, roman le plus vendu de la spécialiste britannique du crime Agatha Christie avec plus de 100 millions d’exemplaire depuis sa sortie en 1939, a connu plusieurs adaptations au cinéma, à la télévision, au théâtre, à la radio et même dans l’industrie du jeu vidéo, mais aucune n’égale la qualité de cette mini-série britannique.
Suite au rachat des droits d’adaptation d’Agatha Christie par la BBC, la société de production britannique annonce le lancement de deux séries à l’occasion du 125ème anniversaire de la romancière. Parmi elles, une adaptation en trois épisodes des Dix Petits Nègres, roman policier le plus connu de la bibliographie d’Agatha Christie. Le projet est confié à la scénariste Sarah Phelps, connue outre-Manche pour son travail sur EastEnders, qui est à ce jour le deuxième feuilleton le plus ancien de la télévision britannique. N’ayant jamais lu le livre avant de signer pour cette production, elle a fait le choix de ne regarder aucune des précédentes adaptations de l’œuvre afin de ne pas être influencé. Et le résultat est largement convaincant, malgré quelques libertés prises avec le livre : ajout d’une liaison entre Vera Claythorne et Philip Lombard, modification du mode opératoire pour le meurtre du sergent William Blore, ajout du contexte de la Seconde Guerre mondiale en toile de fond, suppression de la direction de l’enquête par le juge Wargrave, et surtout, une scène finale totalement modifiée et plus dramatique que dans l’œuvre originale. De toute évidence, Sarah Phelps a cherché à retranscrire la brutalité qui l’avait marquée en lisant le livre, et la révélation du meurtrier en atteint le paroxysme dans une séquence qui frôle le traumatisme mais qui comporte également sa dose de satisfaction pour la justice rendue à Vera Claythorne, coupable d’infanticide déguisé. D’ailleurs, ce sentiment peut être partagé pour chaque meurtre commis dans ce manoir luxueux dans la mesure où chaque invité est en réalité coupable du ou des crime(s) pour lequel il est accusé. La notion de justice est donc au cœur du scénario de cette mini-série, comme de l’histoire du livre.
Le tournage a principalement lieu sur l’île inhabitée de Mullion Island, en Cornouailles, une autre liberté prise par rapport au roman où l’intrigue se déroule sur une île fictive du comté voisin du Devon. Mais on oubliera aisément ce changement face à la splendeur d’un paysage insulaire et sauvage mis en valeur grâce à une subtile maîtrise de la lumière naturelle. Cette île inhabitée et loin du continent incarne, par son isolement et le climat rude que l’on y trouve, un cadre d’angoisse idéal pour le déroulement de cette histoire macabre.
La distribution, variée et hétérogène en termes de notoriété, profite de performances réussies et convaincantes. Certes, Charles Dance et Sam Neill sont les plus connus et sont à un niveau qui répond à nos attentes, mais d’autres, qui n’ont pas leur célébrité, nous surprennent agréablement : l’australienne Maeve Dermody, séduisante et envoûtante Vera Claythorne ; Burn Gorman, dans le rôle du dur sergent Blore et que l’on a pu apercevoir dans la série Torchwood ; et même Miranda Richardson, qui campe l’exécrable Emily Brent et que les fans d’Harry Potter ont pu découvrir dans la peau de Rita Skeeter, un personnage tout aussi détestable.
Malgré des libertés prises par rapport au roman, l’ensemble a su respecter l’atmosphère oppressante de l’histoire originale, tout en y ajoutant des spécificités propres à augmenter la charge dramatique, de manière à offrir un résultat plus sombre et plus brutal. En somme, une belle réussite qui honore le talent d’Agatha Christie grâce à une réalisation modeste mais efficace.