Ah la politique… Sujet ô combien passionnant, mais pourtant sujet tellement casse-gueule à traiter... On ne va pas se le cacher, parler de politique, même sur écran, c’est encore pire que de parler de religion ou de sexe : les tabous et les pressions sont légion ; la peur de la polémique terrifie les producteurs ; et parfois c’est même carrément l’ignorance totale ou partielle du sujet traité qui saborde le contenu. Ainsi, bien que le monde sériel connaisse actuellement un remarquable âge d’or qui l’amène à repousser sans cesse les limites de l’audace et de la profondeur narrative, j’avoue que j’accueille toujours avec pas mal de méfiance un projet qui entend aborder de front la politique. Après tout, parmi les rares projets qui ont émergé jusqu’à présent, peu m’ont pleinement convaincu jusqu’à présent. Soit ils m’ont totalement laissé sur la touche à cause de leur aseptisation et de leur angélisme (« West Wing ») ; soit ils m’ont fait connaître d’atroce montagnes russes à cause d’une inégale capacité à traiter ses sujets (« House of Cards »). Au final, avant de voir ce « Baron noir », seul « Borgen » était parvenu à me satisfaire, et cela malgré l’inconstance de sa démarche et les quelques errances de sa forme. Et franchement, avant de me plonger dans cette nouvelle tentative de thriller politique, je ne pensais clairement pas que Canal+ avait la maturité et l’audace nécessaires pour remettre cette situation en cause. Et pourtant… Je ne vous le cache pas : pour moi, « Baron noir », ça a été une énorme claque. Sur tous les secteurs, la série m’a totalement bluffé. Audace : check. Pertinence du propos : check. Connaissance du milieu : check. Identité et raffinement formel : check. Pour être honnête : « Baron noir » a même totalement dépassé mes espérances. Et pourtant, c’est peu dire que ce n’était pas gagné. Parler de politique française, parler du Nord, parler du militantisme local comme des tensions de palais, avec moi, c’était prendre un très gros risque. Pour avoir personnellement un peu roulé ma bosse dans ces milieux là, je peux vous dire que la moindre faiblesse du scénario sur de telles questions m’auraient forcément sauté aux yeux et flingué mon immersion dans l’intrigue. Et pourtant niet, nada. Il faut dire que le scénariste à la tête du projet. Eric Benzekri, est un ancien du PS. Lui aussi il a roulé sa bosse, et pas auprès de n’importe qui… Le gars a passé des années aux côtés de Jean-Luc Mélenchon au temps où celui-ci était encore dans le parti à la rose, mais aussi il a côtoyé de très près Julien Dray, celui que la presse avait justement baptisé le « baron noir » quand celui-ci avait cherché à retourner la jeunesse contre un gouvernement de son propre camp. Du coup, oui c’est documenté, oui c’est sensé, et non ce n’est pas lisse. Et rien que pour ça, mais que c’est bon ! ENFIN on parle de politique dans une série. De vraie politique. D’idéologie politique. De culture politique. D’enjeux politiques. D’histoire politique… Pas seulement de structures et de mécaniques comme c’est le cas dans « House of Cards »… Là on sent durant toute la saison à quel point le PS est connu de l’intérieur : ses composantes, ses ambivalences, ses tensions entre réseaux d’énarques parisiens et barons à la tête de fiefs locaux. Chaque épisode foisonne de situations ou de phrases cultes riches d’enseignement pour mieux comprendre la bête de l’intérieur. Mais la cerise sur le gâteau – que dis-je : la plantation entière de cerisiers ! – c’est qu’en plus de ça, la série est formellement belle. Plus que ça, elle est aboutie. Qu’il s’agisse aussi bien de la plastique, du cadrage, que de la musique, tout fait corps. Rien n’est de trop. Tout est mesuré. L’écriture évite à merveille l’écueil du didactisme pour en plus se targuer d’un fin cisèlement capable de soutenir un rythme hallucinant sur huit épisodes. Alors après, certes, j’avoue que le dernier épisode me dérange un peu de par sa conclusion presque moraliste (
au final le méchant politicien qui a fraudé est rattrapé par le système et en paye les pots cassés : ça, pour le coup, ce n’est pas très crédible au regard de la réalité de l’Histoire récente
.) mais il ne remet pas en cause toutes les qualités citées précédemment. Ah ça non ! Je ne reviens pas là-dessus : « Baron noir » est une incroyable surprise. C’est le chef d’œuvre de Canal+ ; c’est la série de sa consécration. La première production de la chaine cryptée qui peut regarder les productions anglaises et américaines dans les yeux… et, concernant le domaine de la politique, en se permettant même de baisser la tête. Chapeau donc et bravo. Vivement la saison 2…