Depuis plus de 10 ans, le choix de me lancer dans une série est mûrement réfléchi. Ayant suffisamment de films à regarder pour 5 vies et les séries demandant un investissement temporel souvent trop important à mon goût pour un dispositif trop souvent visible et redondant.
Au fil des ans, les budgets, la qualité globale ou encore les artistes convoqués à l'élaboration des séries ont rendu la frontière entre le monde des séries et celui du cinéma perméables. Restent que ces deux médiums sont des outils certes complémentaires mais différents dans l'impact sur le spectateur.
Je venais de découvrir Sharp Objects de Jean-Marc Vallée (Merci Guillaume), série que j'ai vraiment aimée, bien que trop longue d'un ou 2 épisodes je pense (Même si le côté répétitif fait partie intégrante de l'ADN du projet, afin de ressentir au mieux les sentiments de claustrophobie à ciel ouvert et de nausée des personnages tous plus au moins pris au piège.) J'avais été agréablement surpris par le format mini-série, pensée et contenue en une unique saison et réalisée par une vision artistique globale et cohérente d'une seule équipe, dont son réalisateur.
Je me lance donc dans la foulée, décidé, dans l'expérience précédente de Jean-Marc Vallée, intrigué par l'esthétique et le postulat de base. Pour le coup, l'essai est transformé. Je dois avouer mon effarement face à certaines critiques presses ou non sur deux arguments principalement :
- Sorte de Desperate Housewives avec des ambitions faussement arty en plus ...
- Si vous avez envie de vous prendre les états-d'âmes de bourges qui se complaisent dans leur misérabilisme ...
Mettons-nous d'accord, l'appréhension d'une oeuvre, quelle qu'elle soit est dépendante d'une somme de facteurs : Notre état de fatigue, notre état émotionnel, notre chemin de vie etc... "Les goûts et le couleurs" (tiens... te revoilà toi...)
Mais réussir à autant être à côté de la plaque dans l'analyse, qui est censée demander une certaine prise de recul. Débat vain du papier trop vite sorti ?
Mon verdict :
J'ai adoré cette expérience renouvelée au cours des 7 épisodes de Big Little Lies (Je me suis contenté de la saison 1, pensée comme telle ; un objet unique qui n'avait absolument pas besoin d'une suite sur-explicative et qui va éradiquer toute liberté imaginative et réflective chez le spectateur.)... l'inverse donc de l'ambition originale, pas mal !
Contrairement aux 2 arguments évoqués ci-dessus par certains détracteurs, le comparatif avec Desperate Housewives tient uniquement au fait que nous suivons principalement les péripéties au travers des yeux de protagonistes féminins évoluant dans un milieu aisé. Pour ce qui est du côté "bourge", je ne comprends pas en quoi cela est problématique d'un point de vue scénaristique ou sociologique : cela semble davantage traduire d'un inconfort vis-à-vis de son propre niveau de vie ou bien d'un rejet tellement catégorique qu'il n'accepte pas que ces gens, plus fortunés... Existent ?
Pour autant, là où ces arguments sont encore plus inopérants qu'erronés :
- La série évolue dans un entre-soi toxique, mais bien réel ici aussi dans nos contrés Françaises. Cet univers totalement cloisonné alors qu'il est paradoxalement ouvert sur l'immensité de l'océan est l’objet principal de la critique acerbe, suffisamment distincte, portée par la série. L'équilibre entre thématiques sérieuses, pauses humaines, cynisme et surenchères face à des situations complétement déconnectées de la réalité est dosé de façon subtile.
- Un groupe de bourges ? En partie, cette série triomphe par le fait de porter un regard universel et donc réconciliateur sur des thématiques qui touchent tout le monde, individus ou couples, quel que soit leur niveau social :
la difficulté d'être mère célibataire, d'être parent, d'être un couple divorcé, d'être un enfant, un amant, un mari violent, une victime d'agression, de subir le poids des comparaisons, les guerres d'ego, les baisses d'estimes de soi
, quoi de plus universel ? C'est justement dans l'explosion de ces barrières de classe que la série excelle. Et c'est ne surtout pas comprendre le point de vue exprimé par Jane dont c'est le rôle de témoin extérieur dans ce mode à part. Surement la critique spécialisée, c'était endormi sur ce point pourtant colonne vertébrale de toute la dramaturgie... C'est d'autant plus pertinent, que le fait de faire voler en éclats le vernis brillant du monde idéal des couples fortunés que la série tire son épingle du jeu, en petite soeur directe de Gone Girl aussi bien dans l'approche thématique que son ambiance ambivalente sexy-feutrée-violente-réaliste-psychotique. Le contre-exemple de cette vie dans les lieux reculés existe dans tout bon Americana ou tout simplement dans Sharp Objects du même réalisateur qui va questionner ce rapport de force dans cette Amérique profonde.
Jamais manichéenne là où pourtant, l'intégralité des sujets évoqués aurait pu facilement noyer le propos dans une somme de poncifs, on aborde ici frontalement et en nuance les perspectives de chacun : 1) Pas de faux féminisme convenu : aucun homme n'est présenté comme uniquement mauvais, aucune femme n'est présentée uniquement comme victime idéale. 2) Pas de caution LGBT au chausse-pieds (communauté pourtant présente), ça change déjà du modèle Disney.
Comme toujours, on adhère ou non, il y a suffisamment de quoi satisfaire tout le monde dans l'offre audiovisuelle mondiale. Ce qui me gêne en définitive encore une fois, c'est lorsque la critique commente en surface, une proposition qui justement demande de lire entre les lignes.