"If it doesn't fit, you must acquit."
Et en plus ça rime! Trop fort ce Johnnie Cochran Jr! Parce que, non content d'être considéré comme le meilleur avocat du monde et d'avoir un nom de rocker qui claque comme un coup de fouet, le gars fait de la poésie! Et pas à n'importe quel moment, hein: lors de sa plaidoirie de conclusion du "procès du siècle", faisant résonner cette formule définitive dans le silence s'abattant alors lourdement sur la salle d'audience. Une punchline désormais gravée dans l'histoire de la justice américaine intimant aux douze jurés de conclure qu'O.J. Simpson, le client de Cochran accusé de double homicide, devait être acquitté puisque les gants du crime essayés lors du moment-clé du procès ne lui allaient pas. Scène forte d'une monstrueuse série judiciaire se plongeant dans les entrailles d'un procès démentiel dont le verdict rendu devant 100 millions de téléspectateurs a divisé l'Amérique.
Le challenge de cette première saison de l'anthologie American Crime Story inspirée par le livre "The run of his life" était évidemment de maintenir sur la durée des dix épisodes un intérêt croissant sans pouvoir miser sur un insoutenable suspense lié au verdict puisque cette histoire vraie et son dénouement ont été archi-médiatisés. Challenge complètement relevé puisque la reconstitution de toutes les facettes de cette affaire dépassant largement le cadre du crime passionnel nous scotche littéralement à l'écran. Les créateurs de la série, Larry Karaszewski et Scott Alexander, pleinement conscients de s'attaquer au récit d'un procès qui cristallise la lutte entre la raison et l'émotion, optent non pas pour une analyse froide et clinique mais une dissection spectaculaire des organes du corps judiciaire américain. Tout en auscultant l'édifiante mise en abîme des différents protagonistes par le prisme de l'impitoyable machine médiatique, en particulier la terrible épreuve traversée par la procureure Marcia Clark raillée pour son look (touchante interprétation de Sarah Paulson), ils prennent la tension d'un pays dont les nerfs sont encore à vif trois ans à peine après les émeutes liées au scandale de l'affaire Rodney King qui avaient éclatées également à Los Angeles. Car la série propose une fascinante radiographie de l'Amérique de 1995, le contexte explosif amenant le scénario sur l'enjeu principal: comment la défense, emmenée par Cochran (remarquablement interprété par Courtney B. Vance), légendaire avocat noir recruté par Simpson dans la "dream team" pour son activisme pour la communauté afro-américaine, va détourner l'attention du jury majoritairement noir vers la probabilité d'une machination policière et l'entraîner sur son terrain de prédilection - le combat contre la discrimination raciale et l'impunité de l'Etat face au peuple - en pointant du doigt le LAPD personnifié par un flic raciste, acteur-clé du procès. Une exploitation de la tension raciale qui donnera lieu à un duel verbal terrible entre Cochran et le co-procureur lui aussi noir Christopher Darden, campé par Sterling K. Brown sur qui la lumière d'un grand rôle est enfin braquée après quantité de simples apparitions dans les séries US.
Entre les luttes intestines causées par les divergence tactiques et les batailles d'égo, les manoeuvres en coulisses de l'accusation et de la défense sont passionnantes à suivre. Les adversaires se rendent coup pour coup, notamment dans le très drôle huitième épisode où les jurés considérés comme non acquis au jugement espéré valsent comme des pions sur l'échiquier de la loi posé à tour de rôle sur le bureau du juge Ito par chacun des deux camps. Le travail de documentation est titanesque, basé sur le visionnage des centaines d'heures de vidéo des audiences et la lecture des différents livres écrits par les acteurs de l'affaire. Ryan Murphy (qui s'était notamment illustré avec l'excellente série "Nip/Tuck"), ici co-producteur et réalisateur de la moitié des épisodes, déclarera avoir eu du mal à croire à l'authenticité pourtant vérifiée de certains faits tellement ils semblaient invraisemblables. Une authenticité saupoudrée de quelques éléments de fiction qui ajoutent de la saveur sans pervertir le goût. En effet, la série a l'intelligence de ne jamais prendre parti, se contentant de souligner le poids de l'apparence et l'influence de la célébrité dans la société de l'image et du spectacle.
L'immobilisme inhérent au genre du film de procès est gommé par une mise en scène dynamique et la photographie, pas aussi chiadée que dans la sublime série "The night of", renforce l'aspect documentaire de l'entreprise. On retrouve dans le casting les visages de John Travolta dans le rôle de Robert Shapiro, le premier avocat de l'ex-footballeur rapidement mis en retrait pour raison stratégique, et de David Schwimmer (oui, Ross dans "Friends"!) dans la peau de Robert Kardashian, avocat et homme d'affaire, très proche de Simpson qui sera pourtant le seul dans l'entourage de la star à être rongé par le doute pour finalement être persuadé de sa culpabilité, comme le montre clairement l'épilogue: la scène de la fête organisée par Simpson à la fin de la série est une illusion d'optique et le dernier regard que son ami fidèle lui lance émerge de ce "bal masqué" comme un rare instant de la soirée ne s'avérant pas un trompe-l'oeil, se posant comme un instantané saisissant du passage de la gloire à la déchéance.
Une réussite totale dont la prometteuse deuxième saison se transportera dix ans plus tard pour s'attaquer à un autre phénomène qui a aussi ébranlé méchamment les fondations de l'Amérique, avec des conséquences bien plus dévastatrices encore: l'ouragan Katrina. Un désastre total qualifié par Ryan Murphy de "putain de crime".
Ouch! Ca va faire mal.