J’ai découvert « La Caravane de l’Etrange » par hasard, en fouinant dans le catalogue du Groupe Canal. Je ne connaissais pas du tout. Jamais parvenu à mes oreilles, ou alors je n’avais pas capté sur le moment. J’ai parcouru le pitch et me suis embarqué dans cette aventure. Pour tout dire, le format m’arrangeait : douze épisodes par saison et deux saisons. Ca correspondait au temps que je m'étais imparti durant une période de mon existence. Et d’emblée j’ai été conquis. A commencer par cette ambiance fantastique qui s’exprimait au goutte à goutte. Ambiance préoccupante, glauque, voire par moments gore ; une sensation pesante qui vous tient en haleine, comme en suspension entre deux dialogues, entre trois plans, entre quatre regards avec cette appréhension de tomber brutalement sans savoir où et quand. Tous ces personnages principaux qui se livrent aussi au compte goutte avec leurs blessures que l’on devine et qui, pour certains, se dévoilent comme un coup de poignard dans le dos. Le fantastique s’invite dans une Amérique des années trente qui se plaît à prolonger le krach boursier. L’Amérique qui s’embarque dans cette Caravane ou qui la voit passer est une Amérique pauvre, démunie, errante, perdue, ignorée, méprisée où la sueur, la poussière et la crasse l’enveloppent. Ce qui nous est donné à voir, je le ressens, je le respire et elle m’incommode et elle m’indigne. Il n’y a pas que des gens bien parmi ces miséreux, il y a des racistes, des fanatiques, des profiteurs, des faibles forts en gueule et des forts, sous couvert de la religion, dénués de scrupule envers les faibles. Dans cette micro-société que constitue cette Caravane de l’Etrange, s’y ajoutent, à cette Amérique en loque, de l’indifférence à la différence, de la normalité à la marginalité ! Une Amérique underground. Steinbeck et Tod Browning ne sont pas loin, forcément, ça vient à l'esprit. Ce combat entre le Bien et Mal est fauché en plein vol, victime d’une audience paraît-il insuffisante. Pareille à cette Amérique, « La Caravane de l’Etrange » a subi de plein fouet un krach d’audience, et, pareille à cette population, je me sens méprisé, ignoré. Oui, HBO a ignoré tous ses spectateurs qui ont aimé cette série ; on les a abandonnés sur le bord de la route et on a méprisé plus de 50 000 pétitionnaires qui réclamaient à cor et à cri la suite. En vain. C’était en 2005, j’arrive plus de dix ans après la bataille ; ça me va bien de crier à l'injustice. Peu importe, j’avais trois ans quand John Fitzgerald Kennedy fut assassiné et m’en moquais comme de mes premières couches, toutefois je reste encore indigné par son assassinat ! « La Caravane de l’Etrange » aurait souffert de certaines langueurs, aurait abusé d’étirer quelques épisodes. A aucun moment je n’ai ressenti l’ennui. Ces soi-disant langueurs s’inscrivaient dans la trame. Elles participaient à ce goutte à goutte de l'étrange. Il est vrai que la saison 2 était plus réactive comparée à la saison 1, certainement par obligation pour contenter les spectateurs à qui on avait chroniqué une mort annoncée ! Une fin anticipée pour clôturer dignement une série qui devait s’étendre sur six saisons ! Oui six saisons... Evidemment, il restera des questions sans réponses, des chemins empruntés abandonnés sans savoir où ils mèneront. Comme ces ponts inachevés, ces tronçons d’autoroutes… Une nouvelle fois, le fric l’a emporté sur l’art. Comme « Utopia », autre série décapitée sans autre forme de procès. « La Caravane de l’Etrange » est une oeuvre artistique qui aurait mérité un meilleur sort. La qualité de sa photo, parfois ses couleurs jaunies qui lorgnaient vers le sépia, ses décors avec un souci du détail dans les accessoires, l’authenticité de l’époque, l’intrigue, l’inconfort de certaines séquences, l’audace dans la perversion et l’interprétation impeccable de tous les acteurs pouvaient faire de cette série une série majeure sans pour autant être du même calibre que « Game Of Thrones » ou « Breaking Bad » par exemple. Attention, je ne compare pas le genre, je parle d’expression artistique. Cette série avait droit à sa place, à son parcours de six saisons. Elle était légitime. Et encore une fois, la reine audience tourne le pouce face au sol pour la condamner à mort. Il est inutile d’épiloguer davantage sur la décision inique de HBO. En plus, j’arrive en retard, voilà bien longtemps que le dossier est clos, et je sais pertinemment que je ne serai jamais entendu. Je m’en moque, je voulais tout simplement rendre hommage à cette série, comme le sentiment d’avoir accompli une bonne cause. M'indigner ! « La Caravane de l’Etrange » est à voir évidemment en V.O.